lundi 4 juillet 2016

La tortue rouge, ou, Sortir de Tamara

La Tortue Rouge de Michael Dudok de Wit est à mon avis un très beau film d'animation et je le recommande chaleureusement. Mais si je veux l'évoquer ici, sur le blog de la prospective et de la futurologie des dispositifs et des pratiques de lecture, il y a évidemment une autre raison.
En fait, c'est tout simplement parce que ce film, au récit émouvant qui "emporte", qui "prend" son spectateur, est sans parole ni texte, tout en étant cependant, son affiche suffit à le montrer, bien autre chose qu'un film muet.
Sa singularité interroge ainsi discrètement l'utilité du langage verbal et de l'écriture alphabétique pour faire narration, et du coup cela rejoint directement le cœur de mes recherches en prospective du livre et de la lecture.
  
Mon idée n'est aucunement dans l'absolu d'accéder à un quelconque silence sinistre, mais simplement d'expérimenter ce que pourrait être pour des humains du 21e siècle et du 3e millénaire, la vie hors du langage verbal, (re)portant notre attention à la communication par les gestes et les regards, et redécouvrant aussi d'autres écritures, à lire, et cependant non-alphabétiques.
L'entrée dans Tamara, l'une des villes du recueil de nouvelles d'Italo Calvino, Les villes invisibles, exprime assez bien je pense ce mouvement du lecteur, auquel je réfléchis et auquel j'aspire à titre personnel : « L'œil s'arrête rarement sur quelque chose, et seulement quand il y a reconnu le signe d'autre chose : une empreinte sur le sable indique le passage du tigre, un marais annonce une source, la fleur de la guimauve la fin de l'hiver. Tout le reste est muet et interchangeable ; les arbres et les pierres ne sont que ce qu'ils sont. Pour finir, le voyage conduit à la ville de Tamara. On y pénètre par des rues hérissées d'enseignes qui sortent des murs. L'œil ne voit pas des choses mais des figures de choses qui signifient d'autres choses. ».
  
Sortir de Tamara
  
Il nous faudrait lire cette citation à l'envers, et nous imaginer sortir de Tamara : « Dans la ville de Tamara nous sommes dans des rues hérissées d'enseignes qui sortent des murs. L'œil ne voit pas des choses mais des figures de choses qui signifient d'autres choses. Pour finir, notre voyage nous conduit à l'extérieur. Là l'œil s'arrête rarement sur quelque chose, et seulement quand il y a reconnu le signe d'autre chose : une empreinte sur le sable indique le passage du tigre, un marais annonce une source, la fleur de la guimauve la fin de l'hiver. Tout le reste est devenu muet et interchangeable ; les arbres et les pierres ne sont que ce qu'ils sont. ».
Pour aller plus loin il nous faudrait maintenant une nouvelle version cinématographique de La tortue rouge, avec des acteurs humains dans un décor naturel. Puis une autre aussi, avec des acteurs humains dans un décor naturel, et, sans musique (malgré la beauté de celle du film d'animation actuel), avec seulement la bande son originale de la nature. Et il nous faudrait également des versions en réalité virtuelle, certaines subjectives, d'autres avec avatars.
En attendant, dans les mois à venir, je sais que je vais de plus en plus réfléchir aux multiples déclinaisons possibles des "livres audio", des différences entre "écouter lire", et, "lire", mais aussi, "lire à voix haute", et comment tout cela, comme la singularité de La tortue rouge, peut nous conduire à creuser un canal entre réalité(s) et imaginaire(s). A suivre...

lundi 20 juin 2016

Lire est ce coloniser de nouveaux espaces ?

Retour sur le café littéraire du 19 juin 2016 sur le thème "Et la lecture devint spectacle", en "after" de #CamilleForEver accueilli et toujours présenté sur la plateforme EVER (Environnement Virtuel pour l'Enseignement et la Recherche) de l'université de Strasbourg, avec la retranscription de mes propos d'introduction à l'entretien avec l'auteur québécois Denis Morin, puis la lecture de correspondances de Camille Claudel par le Théâtre de l'Adret :
  
" En mars 2000 lorsque j'ai vu au Salon du livre de Paris qu'une société se lançait avec comme figures de proue Jacques Attali et Erik Orsenna pour commercialiser des tablettes de lecture qui seraient de véritables bibliothèques personnelles, j'ai réalisé que le numérique, qui jusqu'alors ne m'intéressait pas, pouvait apporter quelque chose aux dispositifs et aux pratiques de lecture.
La société s'appelait Cytale. En juillet 2002 elle était en liquidation judiciaire. Mais moi depuis j'ai continué à creuser ce sillon et, les uns après les autres, à dépasser les horizons du livre.
Cherchant à titre personnel sur des chemins de spiritualité et chercheur depuis quelques années en prospective et en futurologie du livre, c'est finalement le nom, le beau nom grave de lecteur que je n'hésiterais pas ce soir à m'apposer pour nommer le corps physique qui véhicule en ce monde l'esprit inconnu qui me questionne ; paraphrasant ainsi maladroitement l'incipit du Bonjour tristesse de Françoise Sagan, peut-être parce que la lecture se double, pour ce que j'en ressens, précisément de ce sentiment de tristesse. Pour moi ce sentiment de tristesse vient de l'incommunicabilité. C'est l'étanchéité apparente des mondes qui en serait la cause.
Ma boîte crânienne renferme une machine biologique qui décode et documente des longueurs d'ondes captées par mes organes sensoriels. Ce que je perçois comme réel n'est ainsi qu'une représentation comme une autre et sans doute parmi une infinité d'autres possibles. La mouche, qui se pose sur l'écran de mon ordinateur alors que j'écris ce texte, m'est contemporaine. Nous coexistons la mouche et moi. Mais nous ne vivons pas dans le même monde.
Cependant me dis-je, capter, décoder puis documenter, qu'est-ce d'autre sinon lire ? Je lis donc. Je lis tout. Et je cherche à lire les fictions littéraires comme je lis le reste, c'est-à-dire avec la même intention de pouvoir y vivre et y communiquer. Cette gageure m’entraîne dans de drôles d'aventures du côté des réalités virtuelles, des théories transhumanistes et des arts numériques, et aussi du Métavers.  
Depuis 2006 une projection pixelisée de mon esprit, mon avatar présent ce soir parmi les vôtres, erre sur des territoires numériques, tel EVER de l'université de Strasbourg qui nous accueille une nouvelle fois.
Depuis décembre 2015 je suis aussi en contact avec un récit que chaque semaine je retranscris fidèlement. Cela raconte l'histoire du voyage intérieur du lecteur de fictions. La chose prend l'apparence d'un livre, d'un book in progress, pour reprendre à son sujet l'expression de Natan Karczmar, et se présente comme un manuel de résistance pour entrer dans les fictions littéraires comme nous entrerions dans des territoires réels, et pour y puiser des forces nouvelles et y trouver des alliés.
Dès lors la question peut en effet se poser du lien entre les mondes parallèles de nos lectures et un espace digital comme celui que nous partageons en ce moment même.
Pour moi la question reste entière. Je vois ici avant tout un espace de médiation, mais une expression aussi peut-être du désir qui hante notre espèce humaine d'explorer sans cesse de nouveaux territoires à nommer et que nous soumettons aussitôt à la grille de lecture de notre langage.
Que sommes-nous, ici, ce soir, en train de coloniser ?
Sommes-nous certains d'y être les seuls habitants, et que les datas et les scripts ne contiennent pas en germes une autre forme de vie ?
Ce point de vue que je cherche à formuler n'est cependant que celui d'un lecteur, et un autre, un point de vue d'auteur comme celui de Denis Morin sera sans doute tout aussi éclairant, et c'est donc en vous remerciant toutes et tous pour votre écoute, que ma première question à Denis sera :
– Cher Denis Morin, c'est à l'auteur du recueil Camille Claudel, la valse des gestes que je m'adresse, quel sens cela a-t-il ou a-t-il progressivement pris pour toi, que de transporter, de voir transfigurer, ici, tes mots, ton texte, ton langage poétique en somme ? "

 

samedi 11 juin 2016

Les droits des lecteurs face au numérique

Pour vous quels devraient être les droits des lecteurs face aux nouvelles règles de médiation, de communication, de diffusion et de commercialisation des livres, et en particulier des livres numérisés et numériques ?
C'est une question, oui !
  
Le mercredi 22 juin à 19H00 au café culturel Le Vestibule à Paris dans le quartier de la Bastille, je vous propose de venir en discuter avec moi à l'invitation du Collectif-Lab Disruptive People.
 
"Disruptive People opère comme un think tank citoyen et rassemble un collectif d'esprits libres convaincus de la nécessité de promouvoir l'esprit critique. Notre ambition est de concourir à la capacitation du citoyen au sein du vivre ensemble contemporain..."
C'est dans cette perspective que nous échangerons ce soir là. Après une rapide introduction pour bien définir le cadre de notre réflexion, notamment préciser les spécificités de l'édition numérique par rapport à l'édition imprimée, je proposerai à la discussion 14 droits des lecteurs sur lesquels nous pourrons débattre tous ensemble et voir comment les défendre à l'avenir.
Ce ne sera pas une conférence, ni une table ronde et encore moins un cours. Agrémenté par les petits plats de nos hôtesses, ce sera un temps d'échanges et de rencontres pour faire un point sur la lecture aux formats numériques... Venez donner votre avis !
 
Où ? Le Vestibule - Café culturel 40, rue Sedaine 75011 Paris (Plan d'accès
Quand ? Mercredi 22 juin 19H00-21H00
Evénement gratuit.
Boissons et petite restauration légère et saine sur place. Chaque participant, moi compris, paie ses consommations.
Inscription par mail à disruptivepeople@gmail.com (40 places maxi)  avec en objet : RDV22:06:2016
A bientôt !
 


vendredi 10 juin 2016

Liber Numericus des e-incunables au Bibliocène

 
Le 09 juin 2016 j'ai eu le plaisir de donner la conférence inaugurale de l'exposition Liber Numericus sur le plateau intermédia de Stereolux à Nantes. J'ai invité un auditoire nombreux, attentif et étonné, à un voyage d'une heure trente sur le thème de la double métaphore du monde comme livre et du livre comme monde, jusqu'à l'émergence d'une nouvelle ère, celle du Bibliocène, et des lecteurs fictionautes. Des sujets que j'aborde dans mon book in progress "Le Voyage intérieur du lecteur".
Comme je le disais en conclusion : "aujourd'hui, en transgressant la forme et les limites, en dépassant la ligne d'horizon du livre, les plasticiens et les artistes du numérique nous apportent des semences imaginaires et un levain mental pour métamorphoser les lecteurs en fictionautes...", et c'est bien ce dont vous pourrez vous rendre compte si vous avez l'occasion de visiter l'exposition qui se tient jusqu'au 03 juillet 2016.
 
Plus d'infos sur l'expo http://www.stereolux.org/blog/exposition-liber-numericus-l-hypermediagraphie


mercredi 8 juin 2016

Rencontre internationale sur La Lecture devient spectacle

 
En after au spectacle #CamilleForEver nous recevrons l'auteur québécois Denis Morin au sein du MétaCafé Littéraire, espace expérimental de médiation du livre et de la lecture que je propose sur la plate-forme web immersive EVER (Environnement Virtuel pour l'Enseignement et la Recherche) de l'université de Strasbourg.
Cette rencontre, avec au programme des lectures d'extraits de la correspondance de Camille Claudel par les comédiens du Théâtre de l'Adret, est donc accessible librement depuis le monde entier. N'ayez pas peur de vous y connecter et de venir nous retrouver le 19 juin à 17H00 (heure française).
 

dimanche 5 juin 2016

Sublimation du lecteur apophène dans Le Voyage Intérieur du Lecteur Chapitre 24

Le 24e chapitre de l'essai Le Voyage Intérieur du Lecteur est en ligne ici, consultable gratuitement avec la possibilité de laisser vos commentaires, critiques et suggestions.
 
Extrait : " Lorsque, à bout de souffle, nous parvenons à l'orée du bois brûlant, nous ne sommes plus nous. Nous sommes transfigurés. Sublimés. Le feu nous a sauté. Il est face à nous maintenant, dans les villages et dans les villes. [...] Nous en portons à jamais la brûlure sur notre visage. Les autres nous reconnaissent comme tels, comme des lecteurs de fictions. Nous sommes Ulysse. Nous sommes don Quichotte. Nous sommes Jean Valjean. Oui, nous nous racontons des histoires ! Mais au-delà des simples histoires écrites. Nous avons connu le feu. Nous avons été au feu. Nous sommes montés au feu. Nous en avons été brûlés. Nous avons brûlé nos ailes aux sources de la fiction. Le feu, répétons-le, nous est passé dessus. Nous sommes passés par le feu, par la cuisson du livre, de ce qui à force de se consumer fera livre, à manger, à dévorer, à déchirer à pleines dents. Nous portons la couleur de ce feu. Sa chaleur. Sa vie. Nous sommes passés par cette porte, que nous évoquions il y a quelques chapitres. Cette porte à un seul côté. C'est cela la sublimation : passer le seuil de cette porte à un seul côté. Et nous sommes le Petit Chaperon Rouge, nécessairement. Et nous nous appelons alors Alice...".
  
Aujourd'hui notre chance est peut-être ainsi de pouvoir vivre le temps dont nous disposons dans un monde qui a une tendance profonde à flouter la frontière entre le réel et les imaginaires, et dans ce sens participer à l'écriture du Voyage intérieur du lecteur, commenter, débattre, critiquer librement sur : https://www.wattpad.com/story/57362702-le-voyage-int%C3%A9rieur-du-lecteur/parts est un véritable acte d'engagement pour la capacitation (empowerment) des lecteurs :-) N'ayez pas peur !

lundi 30 mai 2016

Rdv à Nantes pour Liber Numericus :-)

Le jeudi 09 juin 2016 j'aurai le plaisir de donner la conférence inaugurale de l'exposition Liber Numericus qui se tiendra du 10 juin au 03 juillet à l'espace Stereolux à Nantes.
Le thème de mon intervention sera :
LES IMAGINAIRES DU LIVRE DANS LA CULTURE CONTEMPORAINE : DU MONDE DU LIVRE AU LIVRE MONDE... Elle sera suivie du vernissage de l'exposition.
  
Aujourd'hui, se représenter et penser le livre à l'heure du numérique et du "tout écran" demande de pouvoir comprendre et expliciter comment les imaginaires du livre traversent les siècles, et comment, sous de nouvelles formes, ils expriment le même besoin humain de s'immerger dans la fiction. C'est ce que je proposerai d’explorer dans cette conférence...
 
L'événement est gratuit sur inscription EVENTBRITE...
Sur Facebook : la page de l'événement, et, l'invitation ...
  
Le voyage auquel je vous invite le 09 juin à Stereolux
L'exposition LIBER NUMERICUS mettra en lumière les mutations et les nouvelles représentations du livre, tant en littérature que dans la création plastique contemporaine à travers les regards de différents artistes : Kyle Bean, Carole Brandon, Jesse England, Masaki Fujihata, Airan Kang, Florent Lagrange, Nemanja Nikolic, Various Artists, Waldek Wegrzyn, ainsi que d'éditeurs innovants, papier et numérique, tels L’Apprimerie, Byook, Les éditions volumiques, Jean Boite Editions, Moonbot Studios, Professeur Cyclope, Studio LA…
Une table ronde sur les Pratiques éditoriales expérimentales sera également organisée le mercredi 22 juin, ainsi qu'une journée workshop "Nouvelles écritures numériques" le vendredi 24 juin.
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