mercredi 18 novembre 2009

Avenir des métiers du livre et de l'édition

J'ai eu hier soir le plaisir de proposer à l'Association des professionnels de l'édition (A.P.E.), plus précisément, dans le cadre de son groupe de travail : Nouveaux supports -Edition numérique, quelques réflexions sur "L'avenir des métiers". Je les reprends ici dans le texte ci-dessous, afin de susciter commentaires et réactions, étant entendu qu'éditrices et éditeurs seront tous bienvenus au sein de cette association, en général, et de ce groupe, en particulier...

" Ce texte a pour vocation de proposer quelques pistes de réflexion autour de la question du devenir des métiers du livre et de l’édition, dans le contexte de l’arrivée sur le marché de nouveaux dispositifs de lecture.

Logiquement, les métiers qui seront les plus directement impactés seront ceux qui sont le plus dépendants pour leur exercice de la matérialité de l’objet livre.
Je les distingue dans le triptyque suivant :
I. Papetiers / imprimeurs
II. Diffuseurs / distributeurs
III. Libraires / bibliothécaires.
1 – Les papetiers et les imprimeurs
Même si le marché de l’impression n’est pas négligeable, il ne serait nullement indispensable à la survie de la filière papetière. Cette dernière développe depuis plusieurs années, d’une part, des efforts techniques et en termes de communication, concernant l’écobilan de sa production, d’autre part, en R&D, pour faire évoluer le “matériau papier” vers des “papiers intelligents” (notamment pour l’emballage des denrées alimentaires, et dans le secteur de l’hygiène – lingettes désinfectantes, mouchoirs en papier, etc.).
Les imprimeurs seront certainement dans une position plus délicate s’ils venaient à perdre les marchés de l’édition et de la presse écrite, dans un contexte où, en outre, la publicité non sollicitée qui encombre nos boîtes aux lettres est de moins en moins justifiable et efficace pour les annonceurs qui l’utilisent.
Dans un premier temps, les marchés émergents de l’autoédition (1,5 million de Français auraient un manuscrit dans leurs tiroirs, Le Monde des Livres du 12/11/09), et de l’impression à la demande (si les éditeurs développaient de véritables offres innovantes de livres personnalisables à la carte) pourraient retarder le déclin de l’imprimerie.
Le renouvellement du parc matériel et notamment pour l’impression numérique à la demande, a nécessité des investissements considérables dont l’amortissement serait compromis si le point de bascule de l’imprimé au numérique survenait à brève échéance.
Le travail de lobbying de la filière graphique (je pense notamment à la Fondation Culture Papier) s’explique, logiquement, par cette inquiétude légitime.
2 – Les diffuseurs et les distributeurs
Depuis le début des années 2000 la filière diffusion / distribution du livre prépare sa reconfiguration vers le tout numérique, les principaux acteurs étant détenus pas les grands groupes éditoriaux. Ces derniers cherchent à maintenir leur monopole vis-à-vis, d’une part, de l’ensemble de la profession (plusieurs milliers de maisons d’édition en comptant les indépendants), d’autre part, vis-à-vis des fournisseurs d’accès à Internet et des opérateurs de téléphonie mobile, qui cherchent eux à contrôler les flux numériques des biens et services culturels (musiques, vidéos, ebooks, etc.).
Dans cette optique, les grands groupes éditoriaux mettent en place de véritables plateformes de diffusion distribution de livres numériques.
Pour simple rappel, citons chronologiquement : le groupe Hachette Livre avec la plateforme Numilog (créée par Denis Zwirn et son équipe en 1999), le regroupement de Gallimard, La Martinière et Flammarion au sein de la plateforme Eden-Livres, le groupe Editis avec Média Participations via leur e-plateforme. Dans ce contexte des tensions et des crispations commencent à s’exprimer entre deux modèles : une plateforme unique regroupant les éditeurs français, ou, une multitude de circuits indépendants, reposant sur des modèles économiques différents. Ce conflit latent ne fait au fond que dupliquer sur les territoires numériques, la situation quasi-monopolistique qui s’est développée au cours du siècle précédent sur les territoires physiques, sur lesquels la mondialisation rendrait l’édition soluble dans des majors du divertissement.
Cela dit, concrètement, les entrepôts de stockage de livres papier seront remplacés par des datas centers, et les norias de camionnettes qui véhiculaient ces cartons de livres et d’invendus, par des câbles en fibres optiques. Mais attention. Tout cela n’a rien ni d’immatériel ni de gratuit !
Cette réorganisation représente d’importants investissements financiers, notamment en termes d’infrastructures, en logistique et en maintenance, et également en énergie (importante consommation électrique pour le fonctionnement et le refroidissement des centres de données) et donc, également en termes de développement durable.
3 – Les libraires et les bibliothécaires
Pour les libraires, d’une part, les structures matérielles des librairies (loyers, assurances et personnels rendus nécessaires par la gestion physique des livres et des lieux de vente) pèsent de plus en plus lourd, et, d’autre part, le commerce en ligne, et notamment celui des livres, se développe.
Les librairies risquent de connaître le même destin tragique que celui des disquaires, des photographes, des loueurs de vidéos : la disparition pure et simple.
Des libraires réagissent et cherchent à innover (je pense ici à : Bernard Strainchamps, weblibraire responsable de Bibliosurf, Joël Faucilhon avec Lekti-ecriture.com, Charles Kermarec de la Librairie Dialogues à Brest, d’autres certainement) et il serait bien d’écouter ce qu’ils auraient à nous dire de leurs expériences et de leurs besoins, en termes de mutualisation et de solidarité interprofessionnelles.
Équiper les librairies “brick and mortar” de dispositifs coûteux d’impression à la demande, ou de bornes de téléchargements de livres numériques (inutiles du moment que ces derniers sont déjà téléchargeables sur ordinateurs et smartphones) ne me semble personnellement pas réaliste.
Le Web, sur lequel décollent, lentement mais continument, les ventes de livres, sur lequel se développe la “longue traîne” de Chris Anderson, et sur lequel Amazon ou la Fnac.fr réalisent déjà de substantiels chiffres d’affaires, ce Web évolue lui aussi.
Nous allons vers un Web immersif. Les plus grandes marques travaillent déjà à la “virtualisation” de leurs espaces de vente. Il s’agit, dans un premier temps, de la modélisation en 3D des boutiques, avant d’intégrer, dans un second temps, des passerelles entre, boutiques en ville, et, boutiques en ligne. Essayage virtuel de vêtements ou de paires de lunettes par l’entremise d’un avatar présentant ses caractéristiques physiques et son propre visage, nouvelle génération de cabines d’essayage se réduisant à un “miroir magique”, tout cela se développe et arrivera au cours des prochaines années.
Les librairies doivent s’y préparer, elles aussi. Les nouvelles générations de lecteurs voudront pouvoir, à distance, accéder, non plus au fonds, mais aux conseils personnalisés de leur libraire préféré, feuilleter les livres à distance, accéder à des informations complémentaires, dialoguer par vidéo ou par le truchement d’un avatar avec le libraire, payer en ligne et avoir dans la minute accès au livre numérique ou au service sur leurs dispositifs de lectures nomades.
Si nous portons notre attention uniquement sur Second Life, nous remarquons déjà la présence de nombreuses bibliothèques, dont celles des principales universités américaines, ainsi que des tests de dispositifs de lecture innovants. Plusieurs îles anglo-saxonnes de cet univers virtuel sont dédiées aux livres, et notamment une pour les développeurs d’Amazon. Des manifestations littéraires, des conférences d’auteurs au lancement du reader de Sony dans l’espace d’exposition de l’éditeur Ramdom House, et quelques initiatives pédagogiques (avec de premières expériences d’immersion de jeunes lecteurs dans des univers romanesques) y ont régulièrement lieu. Cet univers, maladroitement baptisé du qualificatif de virtuel, est imparfait et abscons pour le grand public, mais c’est un laboratoire de ce que sera un jour le Web.
Nous en venons donc enfin ainsi aux bibliothécaires. Depuis quelques années des bibliothèques ont testé le prêt de nouveaux dispositifs de lecture. Notamment la bibliothèque universitaire d’Angers, grâce à Daniel Bourrion, la bibliothèque municipale de Boulogne-Billancourt, grâce à Alain Patez, prochainement la BPI… A mon sens les conclusions ne sont guère concluantes. En février 2010 normalement, la Bibliothèque nationale de France devrait ouvrir un espace permanent sur les futures technologies de lecture, baptisé Labo BnF, et qu’elle définit ainsi : « lieu expérimental de présentation des nouvelles technologies d’écriture et de lecture. Papier électronique communicant, consoles de poches, dispositifs de réalité augmentée […] aussi lieu de réflexion sur la mutation des métiers du livre, les médias numériques… ».
Je pense que durant ce 21e siècle les bibliothèques vont évoluer sur le modèle suivant : d'une part, la bibliothèque-médiathèque physique, "brick and mortar", laquelle sera en permanence couplée par des systèmes de réalité augmentée au réseau des autres bibliothèques sur toute la surface de la Terre, et, d'autre part, sera également couplée en temps réel à son propre double "pure player", dans ce futur Web 3D immersif que j’évoquais pour les librairies. Les deux, la bibliothèque physique, et, la bibliothèque, entre guillemets, "virtuelle", seront interfacées par ce que nous appelons aujourd'hui la "bibliothèque numérique", c'est-à-dire les fonds numérisés.
Il serait intéressant de savoir ce qu’en pensent les bibliothécaires, alors que l’entreprise planétaire de Google Books s’étend et que peinent à se développer, tant le projet Europeana, que celui de la Bibliothèque Numérique Mondiale de l’Unesco.
Avec le numérique, le mythe d’une bibliothèque universelle renaît, le grand rêve d’Alexandrie et celui, plus inquiétant, de la Bibliothèque de Babel prophétisée en 1941 par Borges, comme, en somme, une vision annonciatrice des datas centers de Google, d’Amazon et d’Apple. Or, il ne s’agit là aucunement de bibliothèques. Et pourquoi ? Parce qu’une bibliothèque numérique ne doit pas, à l’évidence, se limiter à un service de recherche de livres du type Google Book Search.
Concernant les libraires et les bibliothécaires, il y a une chose importante que je voudrais rappeler : les internautes sont des êtres humains, ce sont nous, ce sont nos proches, et plutôt qu’avec des algorithmes nous préfèrerons toujours avoir un dialogue avec un vrai libraire, avec un vrai bibliothécaire. Le besoin d'une relation humaine restera très probablement prépondérant dans les médiations du livre, que ce type de relation s'établisse par textes brefs, comme aujourd'hui les tweets, ou, demain, par le truchement d'un représentant numérique, des avatars à son image, ou, un jour, pourquoi pas, par téléportations holographiques (?).
Mais encore faut-il que libraires et bibliothécaires investissent aujourd’hui l’avenir de leurs métiers dans ce nouvel ouest des nouveaux territoires numériques.
En conclusion, je dirai simplement que l’existence de ce groupe et de ce sous-groupe au sein de l’Association des Professionnels de l’Edition est justifiée et pertinente."

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