dimanche 15 janvier 2012

Semaine 02/52 : le livre à l’école du futur

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 02/52.
 
Finalement, l’événement marquant de cette deuxième semaine 2012 qui s’achève, celui qui aura le plus stimulé ma réflexion prospective, aura été le fameux Consumer Electronics Show de Las Vegas, cette grande messe américaine annuelle des nouvelles technologies.
 
A peine croyable ! On me l’aurait prédit il y a seulement quelques années, que je ne l’aurais certainement pas cru. D’autant que je suis vraiment très loin d’être un technophile, que même, ce que j’appelle : "ma tentation Amish", vient parfois me visiter, que je ressens souvent comme une étrange nostalgie d’un 19e siècle, voire, parfois, carrément d’un Moyen-âge imaginaire, époques que je n’ai bien sûr pas connues (ou que j’ai oubliées).
 
Le CES donc, comme disent les geeks (et il ne s’agit donc pas d’un collège d'enseignement secondaire)… Depuis 2008, c’est grâce au remarquable travail de présentation d’Olivier Ezratty que j’en ai un panorama.
 
Mais ce qui me frappe intuitivement cette année, cette semaine, avant même la publication du "rapport Ezratty", sans me soucier des échos et des hoquets de la blogosphère française sur les tablettes de lecture qui pouvaient y être présentées à ce fameux CES, c’est un phénomène que je sens poindre depuis peut-être… l’an dernier seulement (j’ai l’impression de le sentir se structurer, prendre forme devant nous, j’en avais l’intuition depuis bien plus longtemps en fait, je crois).
   
Tablettes, TV connectées, 3D, lunettes de projection, projections holographiques, d’une part, intègrent d’emblée (imposent donc) les nouveaux codes de la mobilité et de l’électro-communication, avec, de l’autre part donc, et entre autres, la géolocalisation, les jeux, et, bien évidemment les réseaux sociaux.
 
Comme le souligne Olivier Ezratty, concernant les réseaux sociaux au CES 2012 : « Ils sont omniprésents dans les couches logicielles des produits présentés. Cela se trouve dans les mobiles, les tablettes et les TV connectées. Facebook passe du statut de plateforme de recommandation à celui de plateforme média. Twitter devient l’outil d’échange en direct sur les programmes TV. ».
 
Et en fond les interfaces avec le cerveau sont l’objet de recherches de plus en plus poussées.
 
Un phénomène que je sens poindre… Un phénomène de fusion (dans tous les sens du terme).
  
Dans ce contexte la lecture se déroule en situation "mobiquitaire" (du mot valise "mobiquité") dans une posture ATAWADAC (AnyTime, AnyWhere, AnyDevice, AnyContent = N’importe quand, n’importe où, n’importe quel terminal, n’importe quel contenu).
Oui, nous sommes au seuil d’un autre monde.
  
Nous entrons dans l’extrême contemporain (notion que je détourne avec malice de son contexte littéraire).
Le sentiment de contemporanéité s’effondre avec l’accélération des progrès technologiques, laquelle accélération, il faut bien l’avouer, rend de plus en plus crédible la théorie de la Singularité.
   
Ceux qui jadis ont construit ce que nous regardons aujourd’hui comme essentiel dans l’histoire du livre et de ses métiers, ou, plus exactement, ceux que nous avons retenus pour figurer aujourd’hui dans cette histoire et y faire bonne figure, ceux-là avec lesquels nous écrivons aujourd’hui "notre" histoire du livre et de ses métiers, ceux-là étaient-ils habités de leur vivant par des sentiments d’innovation, ou bien, n’étaient-ils seulement motivés que par des préoccupations d’ordre économique ? Se vivaient-ils comme des novateurs, comme des précurseurs ? Sans doute pour certains, mais quels étaient alors leurs statuts vis-à-vis de leurs contemporains ?
Nous savons avec certitude, par exemple, que lorsqu’ils ont brièvement coexisté à Paris durant l’automne 1871, Rimbaud et Théodore de Banville n’étaient pas, pour autant, des poètes contemporains l’un de l’autre. Quelque part, Rimbaud (comme d’autres) ne fut jamais vraiment contemporain de ses contemporains.
 
Ce que je veux dire, c’est que nombre d’auteurs, d’éditeurs, de lecteurs, peuvent très bien coexister sans être réellement contemporains des écritures, des livres et des lectures de l’époque (celle des e-incunables que nous traversons).
  
Baudelaire jadis désignait "le moderne" comme étant : « la part d’éternel qui affleure dans le passage ».
 
Voilà qui pourrait m’aider, peut-être, à localiser l’extrême contemporain. Il pourrait donc être dans ce passage qu’évoque Baudelaire, là où le présent (l’instant et l’actuel) s’effondre, de part et d’autre. Tant derrière soi, dans le passé, que face à soi, dans l’à-venir. Position périlleuse, certes. Et nous n’avons encore rien vu. Ou si peu.
   
Le destin du livre, aussi, que je le veuille ou non, que nous le voulions, que vous le vouliez ou non (je pense ici aux commentaires exacerbés suscités par mon entretien de ce 12 janvier : Vers une mort programmée du livre ? sur le site de La Règle du Jeu), le destin du livre, donc, que nous le voulions ou non, s’écrit aujourd’hui dans la technologisation accélérée des civilisations.
 
En résumé : j’ai le sentiment que le destin du livre s’écrit maintenant inexorablement dans la technologisation (et au fond je ne suis pas certain que cela soit nouveau, cf. illustration).
  
Mon expérience personnelle m’en a d’ailleurs encore apporté ces jours-ci une autre preuve.
Le soir du 11 et l’après-midi du 12 janvier, j’ai eu l’occasion par le truchement d’un avatar, par le biais duquel je pouvais m’exprimer à la fois par écrit et oralement, et via la plateforme FrancoGrid, de présenter mon projet MétaLectures d’environnement web 3D pour le livre, aux Rencontres d’Autrans 2012.
 
Cela aussi, en 2006, je ne l’aurais pas soupçonné (je dis 2006 car, en 2007, je découvrais le méta-univers en donnant à la Bibliothèque francophone du métavers, alors sur Second Life, une conférence de présentation de mon livre Gutenberg 2.0 le futur du livre (M21 éditions) édité la même année grâce à Malo Girod de l’Ain).
   
C’est par ce type de découvertes et d’échanges avec d’autres pionniers, que je m’exerce à dépasser les limites de mes goûts et de mes préjugés, que je m’efforce, année après année, de conquérir une plus grande liberté d’esprit, pour participer à la construction de l’avenir aux lumières du passé.
   
Illustration (source) : bréviaire cistercien de la seconde moitié du 15e siècle, Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg (le plat supérieur de reliure est évidé pour ranger une paire de lorgnons).


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