samedi 23 février 2013

e-paper : parchemin du 21e siècle ?

Je pense ne pas pouvoir être accusé de nourrir un a priori négatif à l'encontre du e-paper (papiel). En 2007 j'ai été l'auteur du premier, et à ma connaissance toujours le seul - en français en tous cas, ouvrage qui présente les avantages de la technologie de l'encre et du papier électroniques, et ce à l'époque grâce au soutien de Malo Girod de l'Ain et de sa maison M21 éditions, depuis malencontreusement disparue. Je fais référence à Gutenberg 2.0, le futur du livre aujourd'hui obsolète faute d'une réédition actualisée mais pour information en grande partie consultable sur le site de Google LIvres.
 
En fait, depuis 2006 où je me suis mis à la rédaction de ce livre, et jusqu'à ce jour de février 2013, je n'ai pas cessé d'être attentif à ce que j'ai longtemps qualifié de disruptive innovation, une nouvelle technologie sous performante par rapport à celle dominante du papier, mais appelée à progresser rapidement et à la remplacer un jour.
Je lis toujours attentivement les billets de Bruno Rives et je suis assez réservé vis-à-vis des études et autres enquêtes qui prédisent le déclin de ce que l'on appelle maintenant des liseuses (e-paper) face à l'irrésistible montée en puissance des tablettes connectées et rétroéclairées.
Ces dernières années les surfaces e-paper se sont nettement améliorées en contraste, rapidité d'affichage et en connectivité, et elles sont elles aussi devenues tactiles. La couleur par contre, annoncée tous les ans, n'est toujours pas satisfaisante et l'éclairage sur-ajouté pour pouvoir lire dans l'obscurité m'apparaît un gadget inutile et fatiguant pour les yeux - mais ce n'est là qu'un avis personnel.
 
Des écrans... en papier
 
J'ai assisté récemment à un petit déjeuner organisé par Culture Papier, le groupe d'influence pour le développement durable du papier et de l'imprimé.
Ce fut pour moi l'occasion d'entendre Bernard Pineaux (directeur de
Grenoble INP-Pagora, l’Ecole internationale du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux, depuis novembre 2008) s'exprimer sur le thème : Les évolutions technologiques du papier.
 
Il faut évidemment garder à l'esprit la subjectivité et l'engagement bien compréhensibles du conférencier. Nonobstant des arguments exposés méritent je pense toute notre attention
Il nous serait en effet aujourd'hui difficile de nier l'épuisement à plus ou moins court terme des ressources pétrolières et conséquemment le déclin de la chimie du plastique. Nous sommes aussi plutôt bien disposés à considérer la biomasse végétale comme une ressource naturelle, à la fois renouvelable, biodégradable et recyclable. (Nous nous garderons toutefois de confondre la forêt avec des cultures d'arbres car, cela dit en passant, une forêt n'est pas un champ.)
 
La cellulose, matériau du 21e siècle ?
 
Il est ainsi intéressant d'avoir à l'esprit le fait que des électroniciens travaillent aussi dans la filière papier, et que la fonctionnalisation de ses fibres, au papier précisément, puis que des encres fonctionnelles conductrices, ainsi que des batteries en papier et plus généralement que l'électronique imprimée, pourraient déboucher un jour sur la production d'écrans papier réinscriptibles, tactiles et connectés, plus légers, plus fins, plus souples et plus écologiques que les tablettes high-tech, à la technologie plus invasive et froide.
   

L'Afelim (Association française de l'électronique imprimée) à Saint-Cloud, l'Enstib (
Ecole nationale supérieure des technologies et des industries du bois) de Nancy, le CTP (Centre technique du papier) de Grenoble, entre autres, travaillent eux aussi à accompagner les nouvelles logiques d'usages qui apparaissent dans les pratiques de consultation d'informations et de lecture, en s'appuyant en partie sur le matériau papier et les procédés d'impression traditionnelle.
En fait la tradition, pour sa perpétuation, se maintient sur un mode d'assimilation et d'accommodation, et là où nos esprits fougueux voient des ruptures il n'y a bien souvent en fait que les conséquences de causes depuis longtemps à l'oeuvre.
 
L'ouvrage d'Erik Orsenna, Sur la route du papier (j'en parlais ici) permet un point intéressant sur cette matière dont quelques-uns craignent la disparition tandis que d'autres déjà l'ignoreraient de plus en plus dans leurs activités quotidiennes.
Si nous regardons le procédé de fabrication du papyrus et celui du papier nous trouvons facilement des similitudes, ce qui n'est pas le cas avec la fabrication du parchemin. Et l'hypothèse que l'emploi de parchemins aurait retardé l'émergence de l'édition imprimée pourrait se défendre.
Le récent roman historique de Michel Jullien, Esquisse d'un pendu (j'en parlais récemment ici) ouvre la réflexion sur ces siècles d'édition manuscrite.
La lecture du mémoire de Marie Alix Desboeufs, Papyrus et parchemin dans l'antiquité gréco-romaine peut remettre quelques pendules à l'heure.
 
Il ne faudrait pas que l'e-paper nous masque les évolutions du papier, tout comme il ne faudrait pas que les hybridations électroniques du papier nous masquent les évolutions des écrans.
L'histoire et la futurologie, les deux jambes peut-être de la prospective du livre et de la lecture, pourraient seules nous permettre d'anticiper ce que seront les dispositifs de lecture et sur quelles surfaces écriront et liront nos descendants.
Même si je disais récemment qu'il nous fallait, pour avancer, penser "l'après Google", il est certain que l'opération Google Glass montre bien, à la fois, les perspectives qui s'ouvre pour des développement multimodaux de la lecture, et, l'ingénierie humaine à l'oeuvre pour maîtriser le facteur humain et contrôler les comportements individuels.
 
C'est pour anticiper que la prospective du livre est nécessaire. Surgeon de l'anthropologie prospective, davantage peut-être que des sciences de l'information et de la communication, en s'intéressant aux lecteurs elle pourrait contribuer à l'orientation de la condition humaine.
   

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