jeudi 20 mars 2014

Les processus de la lecture éclairés par la théorie des univers parallèles

Pour un chercheur en prospective du livre il est vraiment enthousiasmant de se dire que l'horizon des processus à l'oeuvre dans la lecture (le neurophysiologique, le cognitif, l'affectif, l'argumentatif et le symbolique) pourrait être dépassé par la théorie des univers parallèles !
L'essai que vient de lancer Pierre Bayard aux Editions de Minuit et au titre évocateur : Il existe d'autres mondes, le suggère en dérivant à
partir des travaux de Schrödinger dans les années 1930 et de ceux de Hugh Everett, l’un des premiers à avancer l’existence de mondes multiples à partir de 1950.
Un certain dandysme de plume ne permet pas véritablement de déterminer si l'auteur est vraiment sérieux, ou s'il ne s'agit là pour lui que d'un aimable et innocent amusement littéraire, aussi je resterai circonspect.
Nonobstant c'est là je pense une piste sérieuse pour la prospective du livre et de la lecture. D'une part, pour moi, les réalités fictionnelles sont des simulations et des réalités comme les autres. D'autre part, la lecture littéraire est une forme de pensée consciente au même titre que le rêve. Et, du côté du rêve, un nouveau récit émerge !
 
  
Du côté du rêve
 

Le lien établi en 1961 par le professeur Michel Jouvet entre sommeil paradoxal et rêve est aujourd'hui remis en cause par un autre neurobiologiste français, Jean-Pol Tassin. En résumé, le rêve serait généré et apparaîtrait par l'éveil (explications en vidéo).
Les rapports entre activité onirique et lecture littéraire mériteraient peut-être d'être réfléchis et, pourquoi pas, en parallèle des récits littéraires de rêves et des rêves de livres... Je me demande si des étudiant(e)s ont déjà travaillé dans ce sens à partir d'une base de récits de rêves ? (
par exemple celle-ci...)
  
Je suis allé écouter il y a quelques jours l'anthropologue Tim Ingold dans la salle de lecture du Musée du Quai Branly.
Je suis sensible aux efforts de "désanthropocentrisation" de l'auteur d'Une brève histoire des lignes (déjà aux éditions Zones sensibles).

Vers la fin de son autre essai paru en français nous pouvons lire ceci : "Je pense qu’il y a aujourd’hui un dragon parmi nous, et qu’il grandit dans de telles proportions qu’il devient de plus en plus difficile d’adopter un mode de vie durable. Ce dragon habite la rupture que nous avons créée entre le monde et notre imagination. Nous savons d’expérience que cette rupture n’est pas viable, mais nous refusons de reconnaître son existence car cela nous obligerait à remettre en cause la rationalité scientifique conventionnelle. J’estime que cette reconnaissance aurait dû avoir lieu depuis longtemps. J’ai suggéré dans cet article que l’étude du monachisme médiéval et de ce que l’on appelle les ontologies indigènes pourrait nous aider à lire et à écrire autrement, et ainsi à prendre à nouveau conseil auprès des voix des pages et de celles du monde qui nous entoure, à écouter et à s’instruire de ce qu’elles nous disent, et à réparer la rupture entre l’être et la connaissance." (extrait de Marcher avec les dragons).  

Je crois que pour nombre de lecteurs assidus, la stratification du réel en couches fictionnelles est une expérience assez courante.
Un tel lecteur expérimente, en lui, le mystère de la Trinité, il est, à la fois, lui-lecteur, et Bouvard, et Pécuchet ;-)
(Le séminaire de Celle-les-Bois sur La renaissance du livre, dont je donnerai prochainement des nouvelles, va dans ce sens.)
Car, sans cela "La « morale » du texte tombe en filigrane, nos rêves collectifs s’effilochent, nous habitons et construisons un espace physique et mental, dont nous avons oublié les raisons et les fondements, qui se referme bientôt sur nous-mêmes, comme une souricière." (Raphael Mazzei
,
Réfléchir sur le réel à partir d’un modèle de fiction en anthropologie).
 

 D'après Les villes et le désir. 5. in Les villes invisibles, Italo Calvino
 

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