dimanche 1 avril 2012

Semaine 13/52 : Troubles à l’ordre public Bd St-Germain

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 13/52.

Quand le 19ème revient hanter mes nuits
  
L’événement marquant de cette semaine, je m’en excuse, est un rêve. Un rêve qui m’a réveillé dans la nuit de mercredi à jeudi.
Difficile de raconter un rêve.
La trame nous échappe, les images s‘estompent, le sens, lui, a déjà disparu. Il ne reste que l’impression - intéressant ici ce terme "impression", n’est-ce pas ?
Une impression sur la surface la plus sensible peut-être de notre conscience, puisque nous dormions, puisque je dormais.
Si je tente aujourd’hui de traduire l’impression laissée par ce rêve, je parlerais d’un sentiment de foule.
Je suis dans une foule. Je ne vois que des dos, des épaules, des nuques. Entre, au-delà, d’autres nuques, d’autres épaules. Il y a un lent mouvement de tangage. Une poussée, faible mais continue. Tout cela comme au ralenti. Un peu étouffant. A posteriori je ne me souviens pas d’un avant cette scène et je la vois en noir et blanc, un peu saccadée peut-être, comme une scène d’un vieux film. Il y a là quelque chose de vaguement révolutionnaire, d’insurrectionnel. Sans doute en écho aux pulsations de mon propre cœur on frappe des coups sourds. Oui devant moi la foule frappe des coups sur une porte close. Ce doit être, j’imagine, une solide porte en bois et verrouillée. Je ne le vois pas directement, mais j’ai la nette impression que cette foule frappe des poings contre cette porte. Et là, vous allez rire, j’ai l’impression de réaliser que nous sommes Boulevard Saint-Germain et que la porte est celle du syndicat national de l’édition. Stupide !
 
Nous avons je pense tous vécu parfois cette expérience d’une certaine distanciation dans nos rêves, l’étrange impression d’être à la fois endormis en train de rêver, et, en même temps, d’avoir une certaine distance, de garder un regard, un esprit critique.
 
C’est ce qui m’arriva. Dans l’éclair d’une milliseconde peut-être, je m’amusai tant du ridicule de cette scène, que je faillis me réveiller, mais c’est alors qu’une voix grave dans mon dos prononça ces mots étranges : CERCLE DE LA LIBRAIRIE. Oui, comme cela, mais tel que j’eus l’impression qu’une personne réelle les avait prononcés juste derrière moi dans la pièce dans laquelle je dormais.
Je me réveillai aussitôt en sursaut, oppressé, au bord de la panique. 
 
Ce rêve étrange a sans doute été dicté à mon inconscient par les tensions et les frustrations qui agitent de plus en plus ouvertement le petit monde du livre et de son marché.
Le livre n’est plus le ferment qu’il était, sonné depuis des décennies par l’assommoir de la télévision et maintenant face à la technologisation massive des moyens de communication, d’information et de loisirs - quand les trois ne sont pas confondus, et qui se retrouve enchainée dans une économie de l’attention où l’internaute aujourd’hui, le lecteur bientôt, sont des marchandises humaines (Quand vous ne voyez [payez] pas le service, c’est que vous êtes le produit ! ).
 
Si ce rêve étrange ne présentait pas les éléments d’un cauchemar, il m’en a laissé le goût au réveil subit qu’il provoqua, au cœur de la nuit dans un clapier d’une banlieue pauvre. Et plus loin dans la nuit, lorsqu’enfin je m’étais rendormi, la voix dans mon dos a encore parlé, mais plus doucement : « Mais qui sont ces gens ? », m’a-t-elle demandé.

Ceux qui font tourner les manèges

Qui sont ces gens ? Le Cercle de la librairie, fondé au 19e siècle, est une instance peu connue des auteurs et des lecteurs et elle joue cependant un rôle, sinon LE rôle, crucial dans le marché du livre. A l’origine syndicat patronal français des industries du livre et longtemps au 117 boulevard Saint-Germain, l’organisation a engendré directement ou indirectement un véritable maillage d’associations et de syndicats professionnels et interprofessionnels. Présidé depuis 2003 par Denis Mollat Le Cercle de la librairie a deux filiales : une Société immobilière Grégoire-de-Tours qui gère ses actifs immobiliers, et Électre SA, qui contrôle la base de données bibliographiques Électre, le magazine professionnel hebdomadaire en position de monopole Livres Hebdo, et les éditions professionnelles : les Éditions du Cercle de la librairie.
Le Syndicat national de l’édition (SNE), 115 boulevard Saint-Germain, et qui contrôle notamment l’Asfored (centre de formation et d’expertise pour les métiers de l’édition, de la presse et de la communication) et l’organisation du Salon du livre de Paris, fut quant à lui présidé pendant presque vingt ans (de 1991 à 2010), soit une génération entière, par Serge Eyrolles, PDG du Groupe Eyrolles au 61 boulevard Saint-Germain.
Pas de commentaires. Cela dit tout de la gouvernance de cette organisation et rend indéniable la responsabilité de ce monsieur sur la préparation des éditeurs français à s’adapter au 21e siècle.

Durant ces dernières décennies l’interprofession française du livre imprimé n’a pas été préparée à cette guerre de l’ombre : « la guerre des éditeurs contre Amazon [entre autres !] dont nous parlait cette semaine Pierre Assouline. Au Salon [du livre 2012], l’écho renvoyait leur doute existentiel. Ils n’ont guère de visibilité et se sentent chroniquement mal aimés, mais leur souci est cette fois justifié. La plus grande librairie en ligne du monde tenait boutique pour la première fois. Mais si elle suscite et effroi et consternation dans les rangs des éditeurs français rencontrés dans les travées, à commencer par les plus importants, si elle n’est pas seulement dénoncée comme l’ennemi public No1 mais bien comme le diable évidemment, c’est parce qu’Amazon s’apprête à devenir elle-même éditeur. Un grand parmi les grands. Qui se fiche bien de se voir reprocher d’être dès lors en concurrence avec ses fournisseurs et qui agira, comme Google et Apple, avec les méthodes toutes de cynisme et de pragmatisme qu’on leur connaît. Inutile de préciser qu’à leurs yeux la notion même d’exception culturelle est une vue de l’esprit. Un machin typiquement français inventé par des socialistes à seule fin de freiner la libre concurrence. » (Lire le post Une histoire de pliants, du 30 mars de Pierre Assouline sur son blog La république des livres). 
Siècle après siècle sommes-nous condamnés à revivre éternellement les Illusions perdues de Balzac ? 
  
« Personne sur le boulevard Saint-Germain ; rue Danton personne. », écrivit Jean-Paul Sartre dans La mort dans l’âme. Comme cette phrase sonne juste. « Personne sur le boulevard Saint-Germain ; rue Danton personne. Les rideaux de fer n’étaient même pas baissés, les vitrines étincelaient : simplement ils avaient ôté le loquet de la porte en s’en allant. C’était dimanche. Depuis trois jours c’était dimanche… »
Si un jour je me donne la mort ce sera à Saint-Germain-des-Prés.
Mais face au plus de monde possible et de façon spectaculaire.
   
Illustrations : photos Association Artegraf, Salon du livre Paris 2007, mon ouvrage "Gutenberg 2.0, le futur du livre" sur la tablette Iliad de feu l’entreprise iRex Technologies, et sur la presse de Balzac elle-même adaptée du modèle de celle de Gutenberg.
Grâce à l’éditeur Malo Girod de l’Ain mon livre fut en 2007 le premier ouvrage à traiter de la technologie de l’encre électronique et le premier livre français à être porté sur une tablette de lecture e-paper. C’était il y a cinq ans déjà.

jeudi 29 mars 2012

La route du papier et le déclin de l'imprimerie

J'ai eu l'occasion hier soir à l'invitation de Culture Papier d'entendre à l'École des Gobelins Erik Orsenna présenter son troisième "Petit précis de mondialisation" : Sur la route du papier.
    
La veille au soir j'avais achevé sa lecture, une lecture qui avait été agréable, le style aide beaucoup, l'élégance du ton fait passer bien des choses.
  

Nonobstant, en filigrane de ces pages, la question se pose malgré tout : ne s'agit-il pas là au fond d'un enterrement de première classe pour le papier dit "graphique" (imprimé), pour le papier comme support de lecture, par celui qui fut il n'y a pas si longtemps un pionnier français de la lecture sur support électronique (avec Cytale...).
  
Quoi qu'il en soit en réalité ce n'est pas là ce que je regrette pour ma part de ne pas avoir trouvé sur cette route du papier.
J'aurais aimé pouvoir y emprunter quelques sentiers, quelques chemins de traverse dans l'histoire du livre et de la lecture.
Le papyrus par exemple? Ce n'est pas véritablement du papier, mais par son processus de fabrication qu'explique clairement Erik Orsenna l'appartenance ou la non-appartenance à la lignée du/des papier(s) n'est pas si claire que cela. Si l'imbrication par martelage des fibres des tiges de papyrus abondamment humidifiées ne donne pas véritablement une pâte à papier, nous n'en sommes pas très éloignés et la parenté avec le papier me semble plus proche que celle du parchemin.
Et c'est sur le parchemin précisément, en tant qu'erreur industrielle qui aurait retardé de plusieurs siècles l'émergence de l'imprimerie en Europe, qu'il faudrait je pense s'interroger davantage aujourd'hui, notamment afin de déterminer dans quelle mesure, parallèlement à l'évolution des technologies d'affichage sur écrans (je pense par exemple aux tablettes tactiles multimédia), le papier dit électronique (e-paper ou papiel) ne serait pas, malgré la différence de process industriel, une voie adjacente au papier graphique pour accompagner les nouvelles pratiques de lecture ? 
L'appropriation du papiel par des artistes témoigne je pense de sa parenté, d'une certaine parenté, avec le papier (voir les illustrations ci-dessous).  
  
Le déclin de l'imprimerie
    
Il ressort incontestablement du livre d'Erik Orsenna que le papier, en tant que matière première, est encore dans sa phase de croissance. Je partage pleinement cet avis. Le papier va poursuivre sa route, et le livre la sienne.
Mais si je conseille la lecture de ce "Petit précis de mondialisation", je conseillerais de l'augmenter de quelques points de vue, tout aussi récents et parfois un peu moins policés, comme par exemple : Comment ralentir le déclin de l'imprimerie ? ("Chaque industrie connaît un modèle de cycle de vie qui commence par une phase d’émergence, suivie d’une phase de croissance puis de maturité avant de finir ou de « mourir » après une phase de déclin plus ou moins longue. L’industrie graphique n’échappe pas à ce modèle.") par Yves de Ternay, et, Le numérique tue les usines à papier (enfin) par François Bon ("Qui d’entre nous pour nier que les arbres repoussent, et non point les iPad ? Qui d’entre nous pour ne pas réfléchir en permanence à ce fait grave d’une consommation effrénée des ressources les plus précieuses, et ce qu’on en inclut dans nos micro-processeurs et nos écrans de plastique ?").
N'hésitez pas à signaler en commentaires les autres points de vue ou apports qui vous sembleraient (im)pertinents.
     
Illustrations de gauche à droite : oeuvres sur papiel des artistes Nora Boudjemaï et Gilles Guias.
  
Lire aussi sur ce sujet : Encre électronique à Drawing Now Paris ("Marie Denis, artiste plasticienne passionnée par le papier, ne s'y est pas trompée. Elle propose de visiter ce nouveau support étonnant, avec une œuvre expérimentale à base d'encre électronique, présentée pour la première fois à Drawing Now Paris par la Galerie Alberta Pane, du 29 mars au 1er avril au Carrousel du Louvre.").
  

lundi 26 mars 2012

C'est quoi MétaLectures ?

J'ai eu le plaisir de pouvoir répondre assez précisément à cette question à l'occasion d'un entretien pour le blog de La Cantine numérique rennaise.
    
" Qu’est-ce que MétaLectures et que va t-elle proposer ?
MétaLectures est une île virtuelle sur le web 3D, facilement accessible depuis n’importe quel ordinateur connecté. Il s’agit d’une initiative qui a pour vocation de faire connaitre ce type d’environnement aux acteurs de l’interprofession du livre, au sens large (les enseignants et les professeurs documentalistes, des auteurs peuvent également être concernés), et d’évaluer ainsi leurs réactions et leurs attentes.
Pour l’instant MétaLectures a surtout proposé des conférences sur des thèmes et avec des intervenants apportant un éclairage original aux problématiques liées aux rapports entre la lecture et l’imaginaire. Nous avons par exemple accueilli Anne Astier, Yann Minh, Vincent Mignerot, et prochainement sans doute Karen Guillorel et Patrick Moya…
[...] Avec MétaLectures je ne viens pas avec des idées toutes faites et des solutions clés en main. C’est une sorte d’incubateur pour réfléchir tous ensemble à l’évolution du web et à l’évolution de la lecture. Les deux sont sans doute liées…
  
Pourquoi avoir créé cette plateforme dans les mondes virtuels ?
Justement parce que le web va passer à la 3D dans les années à venir et que ce type de plateforme, [...] pourrait un jour prendre la relève des réseaux sociaux 2D, tels Facebook ou Twitter pour ne citer que les plus connus, et qui ne permettent pas la même profondeur d’échanges entre internautes.
De plus, le monde du livre et de la lecture est en train de basculer de l’imprimé au numérique. C’est sur quoi je travaille depuis plusieurs années en tant que prospectiviste.
[...] Proposer aujourd’hui en 2012 cette plateforme sur un monde virtuel open source c’est, d’une part, inviter les internautes intéressés par l’évolution du livre et de la lecture à découvrir et à expérimenter ces nouveaux territoires digitaux, d’autre part, c’est explorer de nouvelles pistes pour le livre du 21e siècle. Avec la réalité augmentée, la géolocalisation, les jeux sérieux et les jeux en réalités alternées, de nouvelles expériences narratives vont prendre forme. Les supports de lecture ont toujours influencé les contenus. Le roman est né aussi grâce au dispositif du codex [...]. Avec de nouvelles interfaces de lecture connectée la fiction immersive pourrait être demain un nouveau genre littéraire.
  
Qu’est-ce que les mondes virtuels peuvent apporter de plus et/ou de nouveau au livre et à la lecture numérique ?
Il faut entendre par “virtuel” : qui “existe en puissance”, potentiellement. [...] C’est “un autre lieu” de rencontres et d’échanges, c’est au fond autre chose que le web.
Pour le livre et la lecture, [...] nous pouvons imaginer la conception de nouveaux environnements de lecture. Un exemple ? Jenny Bihouise, qui développe par ailleurs sur Francogrid le programme Ma Mairie en 3D a conçu pour MétaLectures un premier prototype : votre avatar est devant un album illustré, il le feuillette et si vous cliquez sur une scène du livre il se retrouve téléporté dans la scène en 3D. Il n’est plus devant l’image il est dedans, peut s’y déplacer etc. Pour l’heure ce n’est qu’un prototype volontairement limité pour la démonstration mais cela peut ouvrir des perspectives, non ?
  
Je souhaite assister à un évènement proposé par MétaLectures, comment faire ?
C’est simple. Créer un compte gratuit sur le site de
Francogrid puis télécharger un logiciel, gratuit lui aussi, pour pouvoir visionner le monde 3D, vous y déplacer via un avatar personnalisé et échanger avec les autres. Pour se connecter spécifiquement à MétaLectures la procédure est détaillée sur le blog dédié. Cela donne également et librement accès à l’ensemble des projets culturels soutenus par l’association Francogrid et permet de pouvoir découvrir des dizaines d’autres environnements 3D depuis son ordinateur."
 
  

dimanche 25 mars 2012

Semaine 12/52 : Le livre comme objectif

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 12/52. 
   
Le sentiment croissant que l’interprofession du livre est décidément bien loin de ce qui se déploie. J’ai pu en partie l’exprimer dans un post hier : Le corps du lecteur dans la lecture.
 
Le quotidien apporte jour après jour les preuves flagrantes que les nouveaux dispositifs de lecture ne visent qu’à la marchandisation de la culture et ne répondent qu’à des logiques utilitaristes.
A priori je ne vois que les designers et les graphistes pour réintroduire une apparence d’humanité dans ces prothèses de la technologisation globale qui véritablement s’impose à nous. (Pour le reste, pour de la véritable humanité, ce serait aux auteurs et aux lecteurs de faire LEUR révolution !)
Ne pourrions-nous pas aussi d’ailleurs retirer de cette constatation du fait que le marché du livre français marque des résistances indéniables au passage à l’édition numérique, qu’il n’y a pas là que les effets de l’inertie calculée des industriels du livre imprimé qui s‘exprimeraient ainsi, mais aussi le fait que cette mutation des dispositifs de lecture nous est à tous : imposée. De fait, nombre d’auteurs et de lecteurs sont, eux aussi, réservés, sur la défensive, et n’apportent pas la poussée novatrice, l’élan qu’il faudrait, le grand souffle plein d’espoirs, et pourquoi ? Parce que cette fameuse "révolution du livre" leur est imposée par des industriels. Elle nous est imposée. Pour la plupart nous n’y participons pas, nous ne la comprenons pas, et nous n’en sommes en aucune façon à l’origine. Cela nous est étranger. Et où cela va-t-il nous mener ?
  

Danger si le livre nous devient étranger

 
La lecture cette semaine d’un entretien avec Bernard Stiegler : Le marketing détruit tous les outils du savoir. Ce n’est pas faux.
« La question, dit Bernard Stiegler, n’est pas de sortir du monde industriel, parce que ça, c’est du vent. Les gens qui disent cela sont des irresponsables ! La question est d’inventer une autre société industrielle, au service de l’humanité et non pas du capital. […] Le web, c’est l’ère industrielle de l’écriture. Le numérique, c’est de l’écriture. Une écriture faite avec l’assistance d’automates, de moteurs de recherches, de serveurs, d’ordinateurs, qui se propage à la vitesse de la lumière, est évidemment technique, et de dimension industrielle, car elle suppose des infrastructures de type Google. […] L’évolution humaine est indissociable de l’évolution technique. ».
Mais encore faut-il que le souci de l’évolution humaine oriente la progression de l’évolution technique.
Ce n’est pas le cas.
Les industries culturelles travaillent à prendre le contrôle du marché du livre et les petits empires familiaux tremblent de tous leurs membres, la main crispée sur le portefeuille. Que ne serrent-ils les poings, et de se mettre en marche pour libérer les mots noirs par l'imprimerie enchainés dans des bateaux de papier !
Mais par quoi sont-ils préoccupés ? La réponse est si évidente qu’il ne serait que puéril de l’écrire ici. Mais, pour la plupart, ce n’est pas l’avenir du livre qui les préoccupe.
Je suis toujours subjugué par l’indifférence à la lecture du plus grand nombre de personnes que je rencontre dans ce milieu.
On peut repérer facilement je crois avec un peu d’attention, ces professionnels du livre qui ne lisent pas. Ils n’ont pas le temps. Ils font du business. Et sinon, souhaitons-leur, ils profitent de l’argent qu’ils gagnent. Mais lire n’est pas pour eux une activité essentielle à leur vie.
  

Ne plus rien attendre des professionnels du livre

 
Nous vivons une révolution graphique qui dépasse de beaucoup le périmètre étroit du passage de l’édition imprimée à l’édition numérique. Derrière les murs de ce couloir de la mort il y a le vaste monde du vivant, un monde en pleine ébullition. 
  
Sur LinkedIn le trend setter René Duringer a listé cette semaine ce « A quoi devrait servir la prospective dans une entreprise en 2012 ? ». (Le conditionnel en dit long !)
« 1. Gérer les ressources humaines en mode prévisionnel (prospective RH)
2. Anticiper les mutations globales dans votre secteur d’activité (mutations sectorielles)
3. Explorer les futurs possibles pour éclairer les enjeux de demain
4. Lancer de nouveaux produits et services
5. Comprendre et anticiper les tendances sociétales
6. Prévoir la situation macro économique
7. Décrypter les nouveaux modes de vie
8. Développer une culture de flexibilité face à un environnement complexe et flou
9. Disposer d’une vision à long terme pour pouvoir construire une stratégie
10. Anticiper les tendances de son marché
11. Identifier les ruptures possibles pour préparer l’entreprise au changement
12. Éclairer les dirigeants sur les prises de décision stratégiques possibles, les marges de manœuvre et les impacts »
Cela recoupe les axes que j’exposais en janvier 2009 dans mon Livre blanc sur la prospective du livre et de l’édition, et de tout cela l’édition imprimée aurait eu bien besoin je pense.
  
Mon livre blanc aurait été en version imprimée qu’il aurait servi je crois de papier hygiénique à ces beaux messieurs qui font tourner les manèges. Je me demande même si certains n’ont pas poussé le vice jusqu’à imprimer le fichier PDF pour se donner ce plaisir solitaire. 
  
Aujourd’hui nous sommes à deux pas de l’écroulement. On licencie dans l’édition, dans la librairie. Les couteaux sont sortis. Il règne à Saint-Germain-des-Prés une ambiance de rivages.
 
En somme ce passage de l’édition imprimée à l’édition numérique aura été « l'histoire d'une immobilité devant l'inconnu du rivage d'en face et devant l'inconnu du destin. Que croire face au néant ? Que faire face aux forces de destruction qui nous menacent obscurément ? Doit-on agir ? Ou au contraire, comme le voudrait le supérieur d'Aldo, faire comme si de rien n'était, profiter du monde tel qu'il est, le laisser en l'état, sans intervenir, sans essayer de donner plus de sens à sa propre vie ? » (Notice Wikipédia sur Le Rivage des Syrtes).
Comme une marée montante le numérique est envahissant, et que laissera-t-il lorsqu’il se retirera ? Alors que nous, nous n’aurons pas utilisé ni sa force ni ses outils pour nous émanciper et pour introduire davantage de justice sociale dans le marché du livre. Les lecteurs sont grugés et les auteurs, ah les auteurs !
  
Écrasés comme des cafards sous la botte du dieu marketing : c’est donc cela que va finalement nous apporter la prétendue révolution numérique de l’édition ? 
  
Peut-être faudrait-il en somme que la prospective du livre et de l’édition ne s’adresse plus aux acteurs du livre et de l’édition, mais, à celles et ceux de tous les autres secteurs, économiques, industriels, artistiques et intellectuels, de la société contemporaine, et parmi eux à ceux qui sont par ailleurs des lecteurs passionnés et/ou des auteurs.
   
Je pense que le livre doit demeurer un objectif, alors que ses progrès sont détournés de leur finalité, mais que nous ne devons pas compter sur les professionnels du livre pour anticiper, préparer, participer tout au moins de ce que sera la lecture à la fin du siècle.
Ils s’en moquent.
Nous sommes seuls.
  
N.B. Illustration Vanité © Fabrice Holowecki.

samedi 24 mars 2012

Le corps du lecteur dans la lecture

Il n'était pas directement question de livres ni de lectures aux tables rondes auxquelles j'ai assistées hier après-midi à La Gaité Lyrique (Paris). La société contemporaine semble bien refuser que le livre et la lecture soient objets de prospective ! Le thème général en était : "Le corps en 2062"  à l'initiative de l'Observatoire Nivea, et se décomposait en deux tables rondes, la première : "Le corps et l’art ces 50 prochaines années", puis la seconde : "Le corps dans la vie quotidienne en 2062".
  
Ce sera l'intervention de Catherine Bouko (Maître de conférences à l'Université Libre de Bruxelles) sur le théâtre immersif qui aura eu le plus d'échos en moi.
Si j'essaye de rapporter au monde du livre et de la lecture les recherches qui sont conduites ailleurs, dans les domaines des arts numériques et du spectacle vivant, par exemple, voici ce qu'il ressort de mes premières réflexions :
- Le codex pourrait, devrait être réinterrogé en tant que prothèse du lecteur...
- La lecture romanesque est une trappe d'immersion naturelle...
- Il y aurait certainement des similitudes à étudier entre le théâtre immersif et les fictions immersives qui pourraient être le genre littéraire émergent au cours du 21e siècle...
- En passant directement de l'âge mécanique [livre imprimé relié] à l'âge électronique [tablette de lecture connectée] la prothèse / interface évolue et rendrait potentiellement possible au cours des prochaines années une plus grande projection mentale du lecteur dans l'histoire qu'il lit...
  
Vers une lecture à fleur de peau...
  
Si le lecteur doit pouvoir garder sa liberté de perception et d'interprétation, la simulation est toujours à l'oeuvre et participe pleinement de l'investissement émotionnel du lecteur. Umberto Eco ne dit pas autre chose dans Lector in fabula.
Dans le théâtre immersif on ne parle plus de spectateur mais "d'immersant". Selon les développements que prendraient les fictions immersives, peut-être constaterons-nous un jour qu'un glissement se sera produit de lecteur à participant, puis à personnage (?), puis à co-auteur (?).
Il serait urgent selon moi d'étudier sérieusement le rôle des neurones miroirs dans la lecture de fictions romanesques, celles qui suscitent le plus des phénomènes d'identification et de projection chez les lecteurs. "Les neurones miroirs désignent une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité aussi bien lorsqu'un individu (humain ou animal) exécute une action que lorsqu'il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter la même action, ou même lorsqu'il imagine une telle action [?], d'où le terme miroir." (Wikipédia).
    
J'ai vraiment l'impression que l'interprofession du livre reste en marge de l'innovation et du vaste mouvement qui se déploie. Le format ePub 3 apparaît comme l'horizon indépassable de l'édition numérique alors que les sciences et les autres pratiques artistiques dépassent horizons après horizons.
 
Du papier à la peau électronique le pas est déjà presque franchi (se reporter par exemple aux travaux de Stéphanie Lacour, chercheuse à l’EPFL, l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne), et hier Eugénie Briot (Maître de conférences à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée) évoquait la possibilité que la technologie de l'encre électronique soit un jour utilisée pour des crèmes cosmétiques.
Quelles connexions demain entre des fictions immersives et la "télévision cérébrale" (brain TV) dont on commence à entendre parler de plus en plus souvent (voir ici par exemple...).
A signaler également hier la prestation de Yann Minh, lequel est revenu sur ses travaux sur le corps cyberesthésique et a abordé plusieurs points qu'il avait exposé récemment lors d'une conférence dans l'incubateur MétaLectures, que j'anime sur le web 3D open source Francogrid (voir ici au sujet de cette conférence de Yann Minh).
Même s'il n'était pas question de livres et de lectures cela valait le coup hier d'assister à ces deux tables rondes.
    

vendredi 23 mars 2012

Des fondements synesthésiques à la lecture ?

Depuis des mois la question prend forme en moi. Elle a d'abord jailli à l'été 2011. En reparcourant Une histoire de la lecture d'Alberto Manguel, j'ai été frappé qu'il rapporte que le psychologue américain Julian Jaynes avait émis l’hypothèse que : « Lire pendant le troisième millénaire avant notre ère revenait […] à entendre les cunéiformes, c’est-à-dire à imaginer le discours de façon hallucinatoire en regardant les signes qui le symbolisent, plutôt qu’à reconnaître visuellement les syllabes de la façon qui est la nôtre. ».
Puis j'ai entendu parler du Projet Synesthéorie de Vincent Mignerot, lequel est venu le présenter au sein de l'incubateur MétaLectures que j'anime sur le web 3D open source Francogrid depuis janvier de cette année (Cf. illustration et sur le blog dédié à MétaLectures).
  
« Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois » Chateaubriand
   
" issu du grec « sunaisthêsis » qui signifie « perception simultanée ». On pratique la synesthésie lorsqu’on fait appel, pour définir une perception, à un terme normalement réservé à des sensations d’ordre différent. Par exemple, lorsqu’on qualifie certains sons (perception auditive) de perçants, ou d’aigus (sensations d’ordre tactile). Ou encore, lorsqu’on parle d’une couleur (sens de la vue) criarde (sens de l’ouïe) ou froide (sens du toucher)." (Source et page consacrée à la synesthésie sur Wikipédia).
La synesthésie pourrait nous apporter des éléments de réponses sur la lecture avant l'élaboration des écritures alphabétiques, sur le sentiment d'immersion que tout lecteur aimant lire ressent lorsqu'il est "plongé dans un livre", sur l'acquisition de la lecture par les enfants, sur la possible émergence avec les nouvelles interfaces de lecture d'un nouveau genre littéraire : "les fictions immersives" au cours de ce 21e siècle.
  
Le vendredi 30 mars 2012 à 21H30, Vincent Mignerot nous fera l'amitié d'intervenir une nouvelle fois sur MétaLectures, pour une conférence exceptionnelle sur le thème : Sensibilité augmentée : des rapports entre les synesthésies et la lecture
  
Les pistes de réflexion sur ce thème sont multiples : l'on pense spontanément au sonnet Voyelles de Rimbaud (A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu), aux Correspondances de Baudelaire dans Les fleurs du mal ("Les parfums, les couleurs et les sons se répondent"), à la symbolique des lettres (voir Symbolisme des lettres : analogies et correspondances, synesthésies)...
Sur la synesthésie et les origines du langage, on pourra se reporter aux réflexions du paléoanthropologue Pascal Picq, maître de conférence au Collège de France, notamment dans cette présentation abordable sur le site de Futura Sciences : La synesthésie des chimpanzés dévoile un des secrets du langage.
Voilà donc pour vous préparer à cette conférence ;-) Consultez aussi le site de l'association synesthésique de France.
Pour accéder à cette conférence au sein de l'espace web MétaLectures suivez la procédure indiquée en suivant ce lien...
 

dimanche 18 mars 2012

Semaine 11/52 : Extension du Réel // Extension du livre

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 11/52.
  
Cette semaine deux faits ont souligné la rupture entre le monde de l’imprimé et celui du numérique.
L'Encyclopædia Britannica, référence culturelle éditée depuis 1768, a déclaré renoncer à l’imprimerie pour se diffuser uniquement sur le web.
En France, un nouvel acteur déclare proposer un accès gratuit "en ligne" (c’est-à-dire connecté, il faudrait un jour soumettre à la question ce "en ligne" [on line] ce rapport entre lignes téléphoniques et lignes écrites…), donc un nouvel acteur déclare proposer un accès gratuit "en ligne" à un millier de livres numériques, mais, des livres sur lesquels chaque page affichera un bandeau publicitaire différent.
A la réflexion, ce dernier fait surtout exprime au fond convenablement la différence radicale entre un texte numérique et un texte imprimé. Il pourrait également nous enseigner sur ce que nous sommes prêts à accepter de l’édition numérique, que nous n’aurions jamais supporté de l’édition imprimée. Autres temps, autres mœurs.
  

« O tempora, O mores » - « Ô temps, ô mœurs ! » (Cicéron)

  
De plus en plus semble émerger une lecture connectée (mais connectée à qui ou à quoi ? la question se posera-t-elle seulement le jour où il sera trop tard pour se la poser ?).
  
Vraisemblablement le livre numérique "augmenté", "enrichi", "transmédia", demandera des investissements financiers bien supérieurs aux capitaux nécessaires à l’édition imprimée. Une diffusion plus large, et donc internationale, et donc en anglais ou multilingue sera d’emblée nécessaire pour rentabiliser l’édition/production. Pour toucher une audience/lectorat la plus vaste possible un nivellement des contenus sera inévitable. Etc. A quand la généralisation du placement de produits dans les fictions romanesques pour rémunérer leurs auteurs ? (Et quand j’écris "auteurs" et que je parle de les rémunérer je suis optimiste ! D’une part, les modèles de fonctionnement de l’édition pure-player se rapprocheraient déjà de plus en plus de ceux des studios de création de jeux vidéos, voire de séries télévisuelles, ou de l’industrie du cinéma, et nous savons qu’au cinéma le réalisateur prime sur le scénariste, d’autre part, les observations que nous pouvons faire à ce jour révèlent que les auteurs ne sont pas mieux traités dans l’édition numérique que dans l’édition imprimée, et je ne considère pas ici que le versant rémunération uniquement, mais également le respect du statut, et, tout simplement le respect de la femme, de l’homme, qui ont fait le choix d’être auteurs au 21e siècle…).
 

Des robots indexeurs et prescripteurs

  
Internet est déjà vérolé. La publicité, la désinformation et la vulgarité se répandent sur le web comme une lèpre.
Le web devient sous nos yeux un média de masse.
Qu’attendons-nous ? Qu’attendons-nous du futur ?
  
  
Dans les années soixante (1960) et avant (voir la vidéo) nous imaginions pour l’An 2000, qui était si proche mais qui semblait si lointain, nous imaginions entre autres des voitures volantes. Alors que les hélicoptères existaient déjà en 1960.
Aujourd’hui nous fantasmons ou nous redoutons l’invasion de robots, alors que les robots nous envahissent.
J’étais hier soir sur les Champs-Élysées. Bien évidemment des régiments de robots n’y défilent pas au pas de l’oie (stechschritt). Mais les agents logiciels, robots sans enveloppe physique, ont déjà envahit internet. Un exemple ? Combien sont les utilisateurs réguliers de Wikipédia qui savent le rôle actif de ces agents, couramment baptisés : bots [contraction de robots].
  
Ils ne se cachent pas, mais tout simplement nous ne les voyons pas : « Les bots sont des agents automatiques ou semi-automatiques qui interagissent avec Wikipédia comme le fait un utilisateur, mais pour des tâches répétitives et fastidieuses pour un humain. Les bots peuvent être utilisés pour générer des articles. D'autres peuvent être utilisés pour éditer ou même détruire des articles. Certains bots sont spécialisés dans la gestion des liens d'interlangue, la résolution des homonymies, les annulations de certains vandalismes ou encore les opérations sur les catégories. »
Le nombre de ces bots, de leurs "dresseurs" et de leurs contributions est assez révélateur (voir ici).
Bien évidemment nous ne risquons rien, quoique : « Des bots bien conçus peuvent apporter un bénéfice concret à Wikipédia. Cependant, parce que le système n'a pas été conçu pour supporter des bots, même un bon bot peut avoir des effets secondaires non souhaitables. ». 
 
En mars 2012 ce sont majoritairement des robots qui nous orientent dans nos recherches d’informations en ligne vers des ouvrages imprimés, numérisés ou pas, et vers des contenus nativement numériques. Ce sont des robots qui établissent nos "profil de lecteur", qui nous assistent et qui sauvegardent nos annotations, nos échanges, nos recommandations… Ce sont des robots qui en ligne remplissent la fonction prescriptrice naguère dévolue à la famille, au corps enseignant, aux bibliothécaires, aux libraires, aux critiques littéraires. Ce sont parfois des robots qui écrivent et qui lisent (qui s’écrivent et se lisent ?). Ce sont des robots qui indexent… 
  
(L’index. Le doigt avec lequel nous avons désigné. Le doigt avec lequel nous avons suivi le fil des lignes de nos premières lectures. Index. Liste ordonnée. Liste de livres interdits. Le doigt que nous mouillons avec la langue pour tourner les pages des livres de papier. Et voilà que le pouce le supplante maintenant - relire ma chronique de la semaine précédente, et voilà que nous devons apprendre de nouveaux gestes pour lire : Les gestes à apprendre avec les tablettes Windows 8. Ce fut certainement le cas déjà lorsque nous passâmes des tablettes d’argile aux rouleaux de papyrus, des rouleaux au codex… Le monde du 20e siècle n’est plus suffisant pour lire notre présent et déchiffrer notre avenir…)
Sur cette insuffisance notoire je vous recommande sur le blog Le monde ne suffit pas, le post publié cette semaine par Audrey Lohard : Monde(s) (ir)réel(s) ? 
  
Nous vivons une extension du Réel, soit, mais je pose la question : une extension du Livre serait-elle possible ?
Et si cette extension du Réel était en fait une extension du Livre ?
 

Au-delà de tous les livres LE Livre dont nous sommes les héros

   
Celui-là serait donc en train de s’écrire.
« Il est maintenant possible, écrit Jacques Scherer dans son texte "Le monde existe pour aboutir à un livre" (à découvrir au sein du projet de Franck Ancel : Du LIVRE de Mallarmé au livre mal armé) de définir les principaux caractères de ce Livre auquel aboutit le monde et dont Mallarmé a tracé l'esquisse avec une lucidité qui implique une admirable intelligence des conditions de toute littérature. Les livres ordinaires sont personnels : le Livre sera objectif. Les livres ordinaires sont circonstanciels : le Livre ne s'attachera à aucun objet particulier et traitera de la totalité des choses existantes. Les livres ordinaires ne sont que des albums : le Livre sera ordonné selon une structure. Triple caractéristique inhérente à la notion de Livre total et que Mallarmé a saisie d'emblée. ».
Quel sera alors le nom du Livre ? 
  
Le Réel (j’utilise une majuscule pour indiquer sa valeur référentielle) n’existe pas tant par l’accumulation de ce que nous reconnaissons comme des réalités, que par le fait, humain, de nommer ces réalités, et ainsi de faire accéder au Réel ce que nous percevons.
La pensée du kabbaliste Abraham ben Samuel Aboulafia pourrait peut-être éclairer ce rapport entre le langage et la réalité. Des épousailles entre la linguistique et la kabbale pourrait jaillir une poussée telle, qu’elle nous propulserait dans le dynamisme et l’intelligence de la pensée.
  
Dans son récent essai Le poisson et le bananier – Une histoire fabuleuse de la traduction (Flammarion éd.), David Bellos signale en passant l’influence que peut avoir sur le cours de nos vies le fait de désigner d’un mot des choses qui ne sont pas des réalités existantes. Il donne le pertinent exemple de : « un placement sans risque » ;-)
   

J’aurais besoin que mes avatars m’aident

   
Le nombre de données qu’il faudrait que je rassemble, trie, et analyse, pour dégager une idée prédictive sur le devenir du livre et de la lecture au cours de ce 21e siècle, est humainement ingérable.
Le concept de littératie (literacy), au cœur de ce devenir du livre et de la lecture interroge aussi mes propres compétences (sur cette notion lire d’Olivier Le Deuff : Retour sur la littératie). 
  
Nos (mes) bogues permettraient-ils au(x) codeur(s) de l’univers de corriger, d’améliorer le script de programmation de l’espèce humaine ? 
 
L’idée m’est venue à plusieurs reprises que la solution serait que mes avatars puissent pour moi collecter et trier l’information, la hiérarchiser, et… me l’injecter pour analyse.
« En fait, ce qui serait tellement plus commode, ce serait d’indexer directement son cerveau, non ? », dixit Olivier Le Deuff dans son livre Print brain technology (Publie.net).
 
Encore un livre que je n’ai pas eu le temps de lire. Trop à lire. Beaucoup trop. Inhumain. Il faudrait que je puisse lire comme je respire. Impossibilité. Incapacité. Et cela de révéler le masque du peu qui a été lu, comme le palimpseste de l’énorme masse du non-lu. Malédiction. Aglagla. 
  
Cela pose nonobstant quelques autres questions cruciales…
Au niveau de l’humain, la perception que le lecteur a de lui-même change-t-elle avec la commercialisation de nouveaux dispositifs de lecture ?
Au niveau de l’humanité, pourrions-nous percevoir une logique séquentielle depuis l’acquisition du langage articulé jusqu’aux codes informatiques ?
  
Ces codes informatiques, en fait des scripts de programmation, ne s’énoncent pas. Qui parle ces codes-là ? Parler code aurait quel effet ? Un code informatique énoncé, dit et agissant, ne serait-il pas une parole créatrice, auxquels seuls certains nourrissons de Zeus pourraient accéder ?
 
Pensée du vivant, pensée vivante, et code, que Clarisse Herrenschmidt dans son remarquable essai : Les trois écritures (Gallimard, 2007) appelle : « l’écriture informatique et réticulaire ».
 
(Sur ces points se reporter à : Écrire avec les machines sur Internet Actu, et au numéro 66 de la revue MCD : Machines d’écritures paru cette semaine, et qui ouvrent de (trop) nombreuses pistes de réflexions.)
  
J'espère avant ma mort que quelques-uns que quelques-unes saisiront ce que j'ai voulu tenter en inventant la prospective du livre, que quelques-uns que quelques-unes s'en saisiront pour développer et pérenniser cette discipline.
 
"Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer", comme disait Guillaume 1er d'Orange-Nassau.
Alors peut-être y aura-t-il une suite la semaine prochaine.