samedi 30 juin 2012

Les enjeux de la normalisation pour l'édition numérique

J'ai assisté hier à la BnF à la 2e Journée d'étude de l'AFNOR (Association française de normalisation, membre de l'International Organization for Standardization - ISO) sur le thème : "Le livre numérique : quelles normes pour le produire, le diffuser, l'utiliser ?".
Cet écho personnel n'est en aucun cas une synthèse (les présentations slides des intervenants et une synthèse, entre guillemets, "officielle", devraient prochainement être mises en ligne par les organisateurs), mais ma réaction, forcément subjective, face à des discours plutôt consensuels et qui semblent davantage entretenir le statu quo actuel qu'assumer les changements inévitables liés au développement d'un marché de l'édition numérique.
 
Il ressort d'emblée de cette journée d'étude (présentations, trois tables rondes, et conclusion sympathique mais improvisée par Arnaud Beaufort, directeur des Services et réseaux BnF), que les enjeux de la normalisation sont considérables.
Pour les résumer en une formule lapidaire je dirais : la normalisation rend possible l'échange dont l'interopérabilité résulte.
La normalisation apparait indispensable à l'interopérabilité. 
 
L'introduction fut d'ailleurs franche - une déclaration telle que : "La normalisation rapporte", pouvant être comprise de multiples façons. Cela dit, il ressort à mon sens de cette journée que l'interprofession du livre tend surtout à développer des stratégies de ralentissement et à reproduire au marché du livre numérique les règles jusqu'à ce jour applicables au marché du livre imprimé. C'est aller droit dans le mur.
 
Une coque de noix sur l'océan...
  
Dans le nuage de questions soulevées par cette étrange conduite j'ai cependant relevé quelques rayons de soleil, quelques traits plus éclairants sur les véritables enjeux...
Virginie Clayssen (directrice de la stratégie numérique du groupe Editis) qui a recentré la problématique sur les lecteurs (ce que je ne peux qu'approuver) : "Je dois pouvoir acheter un livre où je veux, le lire avec le terminal de mon choix et conserver l'accès à mes livres numériques si je change de terminal de lecture et/ou de fournisseur."
Autre formule choc lancée par Virginie Clayssen: "Ne pas laisser les utilisateurs à Amazon !".
  
Alain Pierrot (Business development manager au sein d'I2S) que j'ai revu avec plaisir, précisa lui avec une vraie pertinence que, si on se rallie à un standard comme à un étendard, on se conforme à une norme (comprenne qui pourra).
A titre purement personnel, je n'ai jamais vraiment été dans les normes ;-) et je considère que dans le domaine du livre, qu'il soit imprimé, numérisé ou numérique, une norme n'est nécessaire que si elle rend possible l'accessibilité, non si elle la contrôle.

Hadrien Gardeur (co-directeur de la librairie numérique Feedbooks et animateur du groupe de travail qui développe la spécification OPDS) résuma bien le voeu pieux de beaucoup : "Créer un écosystème basé sur des standards ouverts, permettant à n'importe qui de constituer une collection, de naviguer dans celle-ci et d'acquérir des ressources associées, depuis n'importe quelle source, et dans n'importe quel environnement."
 
La présentation de Marc Jajah (doctorant à l'EHESS, auteur de Sobookonline, spécialisé dans le livre numérique et les pratiques d'annotation) m'a quant à elle surtout conforté dans mon a priori sur l'impossibilité à ce jour de pouvoir retrouver ses annotations, dès lors que l'on change de dispositif de lecture. Vouloir aujourd'hui retrouver des notes au sein de textes en évolution constante, parfois issus de pratiques d'écritures collaboratives, revient à vouloir géolocaliser une coque de noix sur les océans !
 
Deux autres points à retenir d'après moi :
- L'importance de la normalisation pour les problèmes d'accès aux livres numérisés et numériques par des lecteurs malvoyants (intervention hier de Fernando Pinto da Silva, coordinateur du CERTAM - Centre d'évaluation et de recherche sur les technologies pour les aveugles et les malvoyants). Les difficultés liées aux dyslexies et aux dyspraxies devraient aussi être prises en considération, au-delà des contingences commerciales. 
- L'importance d'une normalisation catégorielle et évolutive des métadonnées de gestion bibliographique, métadonnées de référencement et de description. De plus en plus le problème va en effet être de TROUVER.

Globalement les messages passés relevaient donc d'un registre de l'optimisme, à l'image de l'intitulé de la dernière table ronde du jour : "La normalisation, levier pour de nouveaux usages" et dont la présentation à laquelle je ne puis que souscrire précisait sommairement : "On ne fait pas rentrer les usages dans des normes, mais on normalise pour permettre le développement des usages : on a besoin de standards pour récupérer des livres et constituer des catalogues, ou pour partager sa lecture.". 
 
Le singe qui refuse de devenir un homme
  
Malgré ce bel optimisme affiché, quoique assez réservé, le difficile contexte des laborieuses réflexions de cette journée d'étude peut être je pense caractérisé par ces quelques points :
- la pression indéniable sur le marché et les usages des "standardisations de fait", imposées aux consommateurs (aux lecteurs) par des marques monopolistiques (Amazon, Apple...),
- le glissement de la valeur du contenu au service, le fait de ne plus acheter un livre, mais, un droit d'accès associé à certains types d'usages limités, 
- le glissement du lecteur de livres vers l'utilisateur d'un dispositif de lecture, avec ses contraintes techniques et la nécessité d'un service après-vente... 
 
Mais, et je l'ai vivement ressenti hier, complexifier de tels sujets permet surtout de ne pas leur apporter de réponses concrètes. Abondance d'acronymes, textes de référence abscons et en anglais, absence d'un vocabulaire commun à l'interprofession pour désigner de mêmes réalités relativement simples à apréhender, autant de stratégies plus ou moins conscientes, plus ou moins volontaires, mais qui participent à complexifier les choses.
Le refus entêté aussi de s'entendre autour d'une définition simple du livre numérique (refus qui se fait passer pour une impossibilité) est symptomatique je pense de cette stratégie du ralentissement et des intérêts en jeu. Et, de fait, ces tergiversations font le jeu, tant des lobbies des industries graphiques que de ceux des majors anglo-saxonnes du numérique.
J'abordais ces questions de la définition du livre numérique en janvier 2009 dans mon Livre blanc sur la prospective du livre et de l'édition, qui aurait pu à l'époque servir de plateforme à une réflexion collective.
 
En conclusion, si les enjeux de la normalisation semblent vitaux pour le développement de l'édition numérique ce n'est pas gagné. Je dirais même que la situation est préoccupante.
En général, je l'ai encore observé hier, tous ces défenseurs de l'interopérabilité sont les heureux possesseurs d'iPad et de Kindle. Leurs actes de consommateurs trahissent ainsi les discours que leurs positions professionnelles les obligent plus ou moins à tenir. Nous sommes peu de choses.
Et, comme souvent, comme toujours, il a manqué je pense parmi les intervenants un historien du livre capable de remettre les enjeux en perspectives et de nous entretenir, par exemple, des problématiques de la normalisation à l'époque des incunables.
 
Cela dit, je pense que bien au-delà de cette journée d'étude à la BnF, dans la vraie vie, l'univers mental des lecteurs s'élargit, et que tous développent plus ou moins des stratégies personnelles, petites ruses pour accéder aux livres qu'ils souhaitent vraiment lire, pour y prendre plaisir et pour les partager.
Rendez-vous est donc pris pour une nouvelle journée d'étude sur ce même sujet à la Saint Glinglin de l'an 2000 quelque chose. Mais serons-nous encore là pour débattre du sexe des anges ?
Car quel poids a l'AFNOR face à Google, Amazon, Apple ? (Par ailleurs je m'interroge s'il ne serait pas plus... normal justement, que ces problématiques de normalisations  internationales soient entre les mains de la puissance publique et que leurs données soient en accès libre pour tous les citoyens...).
Que pèse réellement, face à Google, Amazon, Apple (d'ailleurs, qui étaient leurs grandes oreilles hier à la BnF ? Ou était-ce à ce point négligeable qu'ils n'y envoyèrent personne dans l'auditoire ?), que pèse donc réellement la commission numérique du Syndicat national de l'édition et son groupe "Normes et standards" (même si ses efforts pédagogiques sont méritoires, voir ici par exemple...).
En vérité : qui décide ?
Y-a-t-il un pilote dans l'avion édition ?
Eh ben la réponse est : NON.
 
J'ai l'impression qu'en 2012 l'édition est comme un singe qui refuserait de devenir un homme !
Mais les lecteurs inaugurent des pratiques transversales et des auteurs se mettent à prendre leurs productions en mains en se saisissant des outils open source. Alors espérons en confiance et sérénité !
 
En savoir plus sur l'AFNOR : sur Wikipédia (et sur le Groupe AFNOR qui a également une branche éditions) et leur site officiel.
Le service concerné à l'AFNOR est le CG46 - Groupe de coordination "Information et documentation".
"Le Groupe de coordination (GC) 46 a pour objet de définir la politique et l'orientation des travaux de normalisation française dans le domaine de l'information et de la documentation et d'assurer la coordination des Commissions de normalisation (CN) et groupes d’experts (GE) placés sous sa responsabilité. Il a également pour rôle de constituer une force de proposition pour le Comité Technique ISO/TC 46 «Information et documentation». La présidence et le secrétariat sont confiés à AFNOR Normalisation depuis 2001."

mercredi 27 juin 2012

Importante actualisation de l'annuaire des éditeurs pure-players

Ce jour une actualisation (nouvelles adresses web des inscrits et quelques nouveaux inscrits, notamment dans la rubrique des prestataires de services) : à consulter ici...
A signaler également une distinction plus claire entre, les éditeurs pure-players francophones, d'une part, et, les prestataires de services (développements d'applications dédiées, ePub3, etc.) à l'édition numérique.

L'ouverture de deux nouvelles rubriques est à l'étude :
- une concernant les prestataires proposant des offres d'auto-publications,
- une autre concernant les services de crowdfunding (financement participatif),
qu'en pensez-vous ? Avez-vous des propositions ?
  
N'hésitez pas à faire part de vos remarques et surtout de vos attentes en commentaires ou en me contactant directement : quels types de services souhaiteriez-vous par rapport à une telle recension des acteurs pure-players de l'édition francophones ?

dimanche 24 juin 2012

Semaine 25/52 : Je préfèrerai ne pas…

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 25/52.
  
J’ai relu cette semaine Bartleby, d’Herman Melville, dans la nouvelle traduction que nous apporte François Bon (voir ici). J’aime bien ce personnage de Bartleby, entre autres pour ce que son fameux « Je préfèrerai ne pas » porte en germe : un nouveau paradigme de la désobéissance civile face aux diktats des marques et des majors du divertissement.

La désobéissance intellectuelle
Dans la grande transhumance de l’édition imprimée à l’édition numérique nous ne sommes pas les bergers, nous sommes les moutons. Et il peut être utile pour des moutons de savoir un minimum de choses, par exemple : qui sont les bergers et qui sont les loups ?
A considérer comme sont aujourd’hui manipulés les lecteurs, les auteurs, les éditeurs et les libraires indépendants par ceux qui détiennent le pouvoir de l’argent (SNE, lobby papetier, Google, Amazon…) on ne peut, en effet, que rétorquer : « Je préfèrerai ne pas. ».
Je l’évoquais la semaine passée : des agents actifs opèrent, jouent sur les clivages, les tensions catégorielles, et ils misent sur une désolidarisation des acteurs du livre pour contrôler les prétendants à une édition du 21e siècle. Ils œuvrent, et plutôt assez efficacement il me faut malheureusement le reconnaître, pour maintenir les innovations (pas tant technologiques, mais au niveau surtout des modèles économiques) et l’expression des revendications, dans le cadre strict du tapis de jeu du siècle précédent ; et ainsi de faire en sorte que la partie continue à se jouer avec les règles écrites par ceux qui au final la gagneront.
 
Cette semaine, deux points de vue m’ont conforté dans cette analyse. D’abord, celui de la dessinatrice et réalisatrice américaine Nina Paley. Cette véritable activiste de la Culture Libre défend « la “désobéissance intellectuelle” (intellectual desobediance) qu’elle définit comme une version de la désobéissance civile appliquée à la propriété intellectuelle. » (Lire ici : “Droit d’auteur : Nina Paley appelle à la “désobéissance intellectuelle” [Eclats de S.I.Lex]”).
Ensuite, plus mesuré, l’auteur français Thierry Crouzet avec un titre provocateur : Les auteurs sont-ils fainéants ? met les points sur les i : « Vous ne pouvez pas, écrit-il, d’un côté critiquer le monde qui vous entoure, vous insurger contre nos adversaires, et d’un autre côté ne rien faire, sinon pleurer, ou pire attendre que ces adversaires se moralisent et viennent vous câliner. Si les auteurs avaient saisi le train du numérique à son démarrage, ils n’auraient pas besoin aujourd’hui de tenter d’y embarquer alors qu’il est lancé à pleine vitesse. Ce train qui n’est pas qu’un nouveau canal de diffusion, qu’un nouveau moyen de gagner de l’argent, c’est avant tout un espace de création et de vie. Vous ne pouvez pas exiger de bénéficier de ce monde tout en refusant d’y embarquer, vraiment. ».
Il émet en quelque sorte des propositions qui apparaissent de l’ordre du possible et qui questionnent les comportements et les choix de chacun, y compris de moi-même.
« Alors battez-vous sur le nouveau terrain de bataille, est sa conclusion. Ne tirez plus vos missiles d’au-delà de la frontière. Ils n’ont aucune chance d’atteindre leurs cibles. Passez les fils barbelés. Escaladez la montagne. Vous découvrirez le monde sous une nouvelle perspective. Et vous éclaterez de rire chaque fois que le SNE, la SGDL et d’autres se livreront à leur pantomime. Dorénavant, nous avons le pouvoir. Ne l’oubliez pas. Ne perdez plus de temps à discuter avec ceux qui ne l’ont plus (et qui vous font croire qu’ils l’ont encore). ». CQFD.

En veux-tu ? En voilà !
En ce qui me concerne j’ai à plusieurs reprises ces dernières années formulé des propositions en franc-tireur. D’abord en janvier 2009 dans mon Livre blanc de la prospective du livre et de l’édition.
J’y définissais six orientations :
1 – Désincarcérer l'édition de l'industrie du print et désenchaîner les textes des livres.
2 – Penser réticulaire, désintermédiation et intermédiation.
3 – Expérimenter : optimiser le partage des ressources et la mutualisation.
4 – Reconfigurer la distribution (accès, abonnements...) et adapter le marketing et les relations presse aux nouveaux médias.
5 – Mettre auteurs et lecteurs au cœur des projets éditoriaux dans une logique 2.0.
6 – Inventer et tester de nouveaux modèles économiques (intégrant, entre autres, la gratuité ou de nouvelles formules de fixation des prix), et repenser et faire évoluer la législation et le CPI (Code de la propriété intellectuelle).
  
En guise de conclusion j’émettais à l’époque huit propositions qui étaient facilement réalisables :
1 – La création de Commissions de la prospective, au sein du CNL (Centre national du livre), du SNE (Syndicat national de l’édition), du SLF (Syndicat de la librairie française) et de la SGDL (Société des gens de lettres), ainsi que des différentes instances régionales au service du livre et de sa diffusion.
2 – La désignation d’une “Madame ou d’un Monsieur Prospective” au sein des maisons d’édition.
3 – La prise en considération des spécificités de la prospective du livre et de la prospective de l'édition, notamment dans leur dimension transhistorique, par les structures possédant déjà un département R&D.
4 – L'enseignement de la prospective du livre et de la prospective de l'édition dans les formations aux différents métiers du livre et de l'édition, dans les établissements privés de communication, et dans les cursus de formation continue.
5 – L'organisation et la mise en œuvre systématique de méthodes d'observation, d'analyse et d'accompagnement de l'évolution des pratiques de lecture chez les jeunes lectorats natifs du numérique (manuels scolaires numériques, e-learning, serious games...).
6 – La valorisation des réseaux francophones consacrés à l'édition, aux livres et à la lecture, existants déjà sur le Web.
7 – Le traitement journalistique suivi et faisant appel à des experts, des questions et des enjeux de l'avenir du livre et de l'édition, dans les médias grand public (la presse écrite [imprimée], autrement que par le biais d'informations ponctuelles “à sensations”, mais par des chroniques spécialisées ; la radio et la télévision, notamment du service public).
8 – La constitution d'un Think Tank (groupe de réflexion), institution privée et publique, à la fois observatoire et comité d'éthique, regroupant les “insiders” de l'édition, de la prospective et de l'économie de la connaissance, et se saisissant de cette question essentielle en cette première moitié du 21e siècle : « Où va la civilisation du livre ? ».

Par la force des choses quelques lentes avancées sur tel ou tel point ont bien eu lieu, mais si peu ! La force d’inertie en face est terrible, terrifiante. Les initiatives sont vite entravées.
 
Plus récemment dans ces chroniques j’ai émis quatre nouvelles propositions, celles-là plus idéalistes j’en conviens :
1 Inscrire au patrimoine universel de l’humanité (Unesco) les classiques de la littérature mondiale, lesquels ne devraient plus être l’objet d’aucune forme de transactions commerciales et être librement et gratuitement accessibles à toutes celles et ceux qui souhaiteraient les lire et/ou en posséder un exemplaire numérique (seul un coût minimum resterait appliqué pour les versions imprimées et les nouvelles traductions).
2 Abolition de la TVA pour le livre imprimé, numérisé et numérique.
3 Extension, harmonisation internationale et sanctuarisation du domaine public, garanties par l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) avec gratuité des œuvres du domaine public en édition numérique (seul un coût minimum resterait appliqué pour les nouvelles traductions).
4 Sanctuarisation des bibliothèques en zones franches bénéficiant d'avantages tels que l'exonération de charges fiscales et de règlementations sociales adaptées et privilégiées...
 
Il faudrait ajouter à ces trois listes des points concernant le respect et la défense des droits des auteurs, ce que j’ai évoqué à plusieurs reprises déjà les semaines précédentes, notamment à partir des réflexions de Richard Stallman. Il faudrait en particulier réglementer l’usage des prescriptions algorithmiques, le profilage et le blacklistage éventuels de lecteurs.
  
Voilà. Il y a de quoi faire. Non ? Au lieu de quoi l’actualité bruisse de ce que les tristes hérauts des princes du business buzzent sur la Toile ; toile dans laquelle nous sommes bel et bien pris, elle et ses fameux réseaux sociaux.
 
J’entends parler sans cesse d’Apple, d’Amazon et tutti quanti, mais aujourd’hui en ce domaine comme dans les autres, les grandes marques c’est bien ce qu’il y a de moins fiable ! D’abord, elles ne décident qu’en fonction de leurs intérêts financiers et non de l’intérêt collectif, de valeurs humaniste ou culturelle. Ensuite, ce que nous leur payons ce n’est pas la qualité des produits (obsolescence programmée…) ou des services (profilage, marchandisation de nos données personnelles, tracking publicitaire…), mais le droit de nous aliéner en les exhibant.
Le grand truc des entreprises à l’heure du 2.0 c’est de faire réaliser une partie de leur travail par les acheteurs. Nous sommes tous devenus des VRP (voyageur, représentant et placier) multicartes bénévoles, et même moins que cela : nous payons pour. Des esclaves 2.0 !
Il nous faut maintenant la volonté et la force, individuelles et collectives, de nous extraire de cette fosse et de nous remettre en marche.
Certes, nous passons de l’imprimé au numérique, mais bien plus, mais bien au-delà ! Car la révolution est très loin de se résumer au monde du livre. Elle l’entraîne avec elle, elle emporte avec elle le monde du livre, certes, et même, je vous le dis, peut-être celui de l’écrit.
Ce qu’il se joue serait de l’ordre du passage des civilisations de l’oral aux civilisations de l’écrit. Peut-être le passage de la civilisation “terrestre” à la civilisation “augmentée” ?
En tous cas les véritables enjeux dépassent de très loin le cadre policé de Saint-Germain-des-Prés, de quelques salons parisiens et de leurs annexes provinciales.
Et s’ils empêchaient notre printemps, alors ce serait un long, un très long hiver.
Nous devons nous battre pour désincarcérer le livre et la lecture des carcans industriels qui les étouffent.

samedi 23 juin 2012

La place du livre dans le web à venir


Depuis quelques mois déjà le groupe "Prospective du livre et de l'édition" que j'anime sur le réseau social Facebook est sous les couleurs de MétaLectures.
Depuis cette semaine une nouvelle application (Cloud Party) apporte à Facebook une extension web 3D, directement et facilement utilisable depuis Facebook et le navigateur web de l'utilisateur.
Les plus de 440 membres de ce groupe "Prospective du livre et de l'édition" et les plus de 3200 acteurs de l'interprofession du livre qui comptent parmi mes contacts Facebook, peuvent maintenant, s'ils le souhaitent, tous me retrouver au sein de ce nouvel espace web (Cloud Party), pour que nous y travaillions de concert au devenir du livre et de la lecture.
 
Avec mes partenaires, je suis à la disposition de tous les acteurs de l'interprofession du livre (imprimé et numérique) pour les accompagner sur ces nouveaux territoires digitaux, que des solutions de réalité augmentée vont rendre de plus en plus interactifs et mêlés à notre réalité quotidienne, et ce notamment pour des applications nouvelles de commerce connecté, ainsi que pour de nouvelles médiations sociales (autour du livre et de la lecture, de la formation et de l'enseignement, par exemple...).
Le web 3D sera dans les mois à venir plus facilement accessible à partir de simples navigateurs web, ainsi que depuis les tablettes internet et smartphones, notamment sous Androïd.
Quelques liens, pour mieux comprendre ce dont il s'agit et les enjeux pour la francophonie et les professionnels du livre :
Y découvrir MétaLectures, le premier environnement web 3D immersif pour présenter, expérimenter et développer des solutions innovantes dans l'univers du livre et de la lecture francophones.
 

lundi 18 juin 2012

dimanche 17 juin 2012

Semaine 24/52 : Ma bibliothèque m’appartient-elle ?

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 24/52.
 
Une nouvelle fois le trop-plein d’informations m’incite à prendre du recul.
Avec les (ex-nouvelles) technologies de la communication communiquons-nous encore ? Ou bien assénons-nous aux autres des informations, soit relayées, en provenance d’employeurs donneurs d’ordres ou de centres d’influence (lobbies, médias, marques…), soit directement issues du besoin d’affirmation, de reconnaissance et d’intégration sociales de nos propres égos ?
Une véritable réflexion sur un humanisme numérique ne pourrait je pense éviter cette question et se contenter de reprendre la tapisserie du passé, de tisser des liens avec la pensée humaniste. L’éclosion d’un humanisme numérique ne peut se fonder je crois que sur une critique radicale du monde dans lequel nous sommes contraints de vivre.
 
La voilà la génération perdue !
 
La fameuse génération perdue n’est au fond que l’expression légère d’un jeune mécanicien (relire Paris est une fête, d’Ernest Hemingway), à une époque où les mécaniciens avaient encore accès aux moteurs des automobiles et n’étaient pas comme aujourd’hui forcés d’entrer des codes informatiques dans des logiciels soumis à l’agrément chèrement acquis d’un constructeur. (Le numérique ferme autant qu’il ouvre.)
Car de fait ses représentants, à cette génération prétendument perdue : Ernest Hemingway, John Steinbeck, Dos Passos, F. Scott Fitzgerald, Ezra Pound, Sherwood Anderson, Waldo Peirce, Sylvia Beach, T.S. Eliot et Gertrude Stein, ont accédé à la reconnaissance et même à la notoriété post mortem.
 
La véritable génération perdue n’est-elle pas en train de se perdre en se fracassant contre les chasses gardées de la diffusion/distribution du livre, l’accès au marché, aux lecteurs ?
Quelle réelle audience, en effet, pour un auteur autoédité francophone en 2012 ?
Je veux entendre par “réelle audience” : un lectorat suffisant pour que l’auteur s’estime dignement et suffisamment payé en retour de son travail d’écriture (et de mise en forme, de promotion, etc., puisqu’il s’agit d’autoédition), et pas seulement payé en argent, mais aussi en reconnaissance et en notoriété, en accès aux médias, etc.
Combien d'auteurs restent inconnus, rejetés des éditeurs traditionnels, ou mal publiés et mal diffusés par des éditeurs indépendants (qui eux-mêmes se fracassent contre les chasses gardées de la diffusion/distribution du livre, l’accès au marché et aux médias), ou numériques (pure-players dont certains peuvent confondre promotion et spam, ou penser qu’être présent sur les sacro-saints réseaux sociaux solutionnerait tout comme par miracle), mais combien d'auteurs autoédités sont en vérité exploités par des prestataires de services malhonnêtes, ou tout simplement perdus dans le flux de leurs compagnons de mauvaise fortune, et où celui qui fait le plus de buzz n’est pas forcément le meilleur. Combien ?
 
Moi-même, face à cette situation déplorable, et bien que lisant généralement plusieurs livres par semaines : -1- je ne prends pratiquement jamais le risque de lire un auteur autoédité (même si je sais courir du coup le risque de passer à côté de véritables talents et de me limiter à une littérature de classiques ou formatée par la pensée dominante) ; -2- je ne conçois pas pour l’instant de m’autoéditer pour publier les textes que l’édition traditionnelle me refuse.
 
Et puis il y a la nature humaine…
 
L’intrusion d’outils numériques dans la chaîne de fabrication, de diffusion et de commercialisation des livres n’a pas que des avantages, loin de là ! Une face obscure se précise, de sa bouche ces mots sortent au grand jour : désappropriation, contrôle, profilage, restriction d’accès...
Il est incontestable, pour quiconque observe avec un peu d’attention et de suivi ces fameux “réseaux sociaux” qui feraient la pluie et le beau temps, que les tensions s’exacerbent entre les différents acteurs de l’interprofession du livre. Les auteurs notamment, exclus des accords commerciaux qui se partagent les revenus de leurs travaux, relégués, méprisés, commencent à gronder. Certains relancent le SELF (Syndicat des Ecrivains de Langue Française). (Mais bien sûr les agents de l’ancien monde sont à l’œuvre et œuvrent assez efficacement pour maintenir l’expression des revendications sur le tapis de jeu et faire en sorte que la partie continue à se jouer avec les règles écrites par ceux qui au final gagneront.)
Cela dit, nous assistons à une désolidarisation que, pour ma part, je déplore.
 
Cependant que cet outillage invisible travaille à réguler notre liberté d’esprit de plus en plus hypothétique, la culture numérique rencontre elle une opposition féroce des empires économico-industriels du siècle passé et des nouveaux pouvoirs qui se structurent en cherchant à structurer le monde de demain. Mais elle inocule aussi dans la société de puissants antidotes.
Des notions essentielles à la vie en sociétés reviennent à la surface. Le rapport entre des droits légitimes de propriété et le libre accès aux biens communs. (Alors que ce 12 juin 2012 nous a quitté Elinor Ostrom, première femme à obtenir un Nobel d’économie en 2009 précisément pour ses travaux sur les biens communs. Lire le texte d’hommage de ce 14 juin d’Hervé Le Crosnier). La question aussi, particulièrement épineuse, de la juste rétribution du travail se pose, avec une acuité accrue et particulièrement dans les domaines artistiques et dans le cercle élargi des auteurs de l’écrit. 
 
Et puis il y a la nature humaine, lente à se dégrossir, à s’extirper de ses réflexes archaïques. Que voulons-nous en 2012 pour le livre ? Le beurre et l’argent du beurre et le sourire, voire plus si affinités, de la crémière !
Bien évidemment que nous sommes tous des gentils et que nous voulons que les auteurs soient dignement rémunérés et ce d’autant plus que nous avons certainement nous-mêmes plus ou moins la certitude d’en être, ou que nous devrions en être, de ces auteurs, mais quel prix sommes-nous prêts à payer un livre, quel différentiel nous semble juste entre sa version imprimée et sa version numérique, ne serait-il pas juste que les classiques de la littérature mondiale soient traduits dans toutes les langues et librement accessibles à tous au titre de patrimoine culturel universel de l’humanité ?

Je veux que ma bibliothèque m’appartienne, je refuse qu’un opérateur désincarné dans des algorithmes puisse me profiler à partir de mes lectures, m’en recommander certaines et me cacher l’existence de combien de livres qui m’apporteraient, dont la lecture seule m’enrichirait, tant pour me parfaire, que pour explorer et découvrir la variété des sentiments humains, m’exercer à développer et à fortifier ma liberté d’esprit, je ne veux pas que ces opérateurs non-humains aient accès à ma bibliothèque pour en effacer du contenu, mes livres ne sont pas que des contenus, des données, du data, pour plusieurs d’entre eux leur lecture et leurs relectures parfois ont fait dates pour le lecteur que je suis, je refuse d’être le pantin passif d’opérateurs numériques.
 
Mais je veux cependant que l’outil informatique me donne en permanence et pour presque rien accès à tous, j’écris bien tous, les livres que je souhaite lire ou seulement consulter, et ce dans l’instant, et avec des fonctionnalités fiables de recherches plein texte et de traductions notamment, et généralement je désire que tout cela soit gratuit, oui gratuit, tout en voulant, comme auteur, que mon travail me soit dignement rémunéré ! Faible nature humaine ! Pauvre de moi ! Dans un monde idéal cela serait peut-être possible. Je précise “peut-être” car rien ne prouve qu’un monde où cela serait effectivement possible, serait effectivement un monde idéal. La question se pose justement.
 
Un vrai humanisme numérique devrait je pense ré-enchanter notre monde désacralisé par la fausse communication et la consommation de masse. Il devrait refuser l’asservissement de l’homme par de nouvelles chaines (smartphones, iPad, Kindle, etc.).
Le livre, en tant que véhicule (sous sa forme actuelle) des valeurs humanistes depuis le premier siècle de notre ère, en tant qu’outil symbolique au service de l’élévation de l’homme, est aujourd’hui au cœur des enjeux.
Le livre est le lieu où se livre une bataille terrible, dont la rumeur commence à s’entendre à qui y prête l’oreille.
 
Selon comment se réalisera le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique, le monde évoluera vers plus de liberté, d’égalité et de fraternité, ou bien il repartira dans un cycle de tourments et de tourmentes.
 

samedi 16 juin 2012

Autres voies de lectures au CentQuatre

Poursuivant mes déambulations avec en tête toujours le devenir de la lecture (et plus accessoirement je l'avoue, des livres et de leur marché) alors que la culture numérique pourrait nous permettre d'accéder à un autre palier civilisationnel (et peut-être, souhaitons-le ardemment, éviter de justesse le mur et/ou le gouffre vers lequel la crise économico-financière nous jette), donc cela dit mes pas et ma curiosité m'ont mené aujourd'hui au Centquatre.
Qu'est-ce ? "Espace de programmation et de création, d’expériences et d’innovations, perméable aux vibrations du monde contemporain, le CENTQUATRE se doit d’être un véritable lieu de vie et de convivialité pour les artistes et les publics. Ouvert aux foisonnantes pratiques artistiques et culturelles d’aujourd’hui, ainsi qu’aux expressions spontanées, l'établissement accueille l’ensemble de ces propositions dans un vaste bâtiment composé de places publiques, d’ateliers de recherche et d’espaces de représentation."
Mon objectif premier était d'y suivre ce matin le Carrefour des Possibles "Création Innovation" organisé par la FING (association Fondation Internet Nouvelle Génération) et d'y participer cet après-midi à la performance de Lucile Haute [Conduit d'aération - Real Time Poetry Game] à laquelle a collaboré Karen Guillorel, qui est récemment intervenue sur mon incubateur MétaLectures (voir ici...).  
["Conduit d’Aération" est une implémentation du dispositif 'Real Time Poetry Game', réalisé dans le cadre d’un partenariat de l’EnsadLab/EN-ER (programme de recherche de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs coordonné par François Garnier) avec la société Ubisoft. Le projet est soutenu par le Labex Art H2H et sera présenté le 16 juin au Centquatre, dans le cadre du Festival Futur en Seine 2012"].

Du public aux lecteurs ?


J'en suis ressorti plein d'idées et d'interrogations, titubant presque sans avoir bu d'alcool ;o)
De nombreuses réalisations en cours questionnent en effet, souvent sans le savoir, ce qu'est la lecture. C'est évident et volontaire pour un travail d'écriture, tel "Conduit d'aération", mais que penser de ce "dispositif transmédia responsable et citoyen" : La Koloc des productions Le vent  tourne, de La Borne, de "Les neuf cubes - logiciel d'écriture créative" proposé par les éditions Aux forges de Vulcain, le Collectif MxM (qui propose un dialogue entre les objets et les acteurs), ou bien de l'oeuvre "Bâtiment (re-création)" de Leandro Erlich, qui propose en fait une relecture des perspectives... ["Les créations de Leandro Erlich, quasi architecturales, jouent avec les miroirs, les doubles fonds et les effets de trompe-l’œil pour modifier les perceptions de la réalité et créer des espaces insolites. L’artiste argentin détourne ainsi les éléments banals du cadre urbain pour happer les passants et agir sur l’inconscient du public. La fascination pour l’infini qui naît de ses œuvres donne à celles-ci une dimension spectaculaire, tandis que les multiples possibilités de participation du spectateur les rendent ludiques. Il s’agit alors de véritables expériences collectives."].
Souvent le lien avec l'écriture et la lecture ne semble pas évident, mais je le ressens bien cependant, sous-jacent à ce qui couve dans la révolution numérique du livre et, au fond, qu'exprimera peut-être assez bien, voire plus, ou partiellement en tout cas, "l'Oeuf du savoir", création en cours d'installation de Bertrand Bossard et Damien Villiere. (cf. illustration).
 
En résumé donc :
- se trouvent remis en question les liens (et les possibles passerelles) entre théâtres, musées, et bibliothèques ;
- s'éclaire un chemin, un pont (une passerelle encore) entre auteurs et designers (forte présence des designers sur tous ces projets de... dispositifs narratifs en somme) ;
- se précisent des pistes pour faire de publics ou d'auditoires (voire de téléspectateurs) passifs, des lecteurs actifs...
Bien sûr tout cela demande à être approfondi, et ma réflexion plus claire et argumentée. Je sais...