lundi 24 septembre 2012

Nouvelle actualisation de la liste des éditeurs numériques francophones

Une mise à jour de la liste des éditeurs numériques francophones porte leur nombre à presque une centaine.
En information subsidiaire nous signalons que l'incubateur web 3D MétaLectures est également à leur service et prépare une surprise pour les éditeurs numériques spécialisés jeunesse ;-)

 


dimanche 23 septembre 2012

Semaine 38/52 : Ce qui ferait roman (maintenant)


Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 38/52.

La semaine passée je reconnaissais ma faiblesse à formuler, depuis plusieurs années déjà, les changements que nous observons tous je pense dans l’univers de la lecture, du livre et de son marché, sous l’expression facile de : « le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique ». Cela permet certes de saisir globalement ce dont je veux parler et de nommer facilement le nouvel écosystème qui se met en place. Mais nommer ne permet visiblement pas de désigner. C’est en fait mettre la charrue avant les bœufs.
 
Fut un temps où l’espèce humaine évoluait dans un monde où aucune des choses multiples qui l’entouraient n’avait de nom. Nous pouvons alors supposer que ces premiers hommes montraient du doigt, l’index geste naturel du jeune enfant auquel on réplique autoritairement que : « on ne montre pas du doigt ! », nous pouvons supposer que ces premiers hommes désignaient avant, un jour, de nommer.
Comme nous le savons tous, l’index désigne entre autres une liste alphabétique de mots-clés ; nous rappelle aussi la fresque de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine : La création d’Adam. C’est aussi pourquoi je préfère le terme “digital” à celui de “numérique”.
Après avoir désigné d’abord, puis avoir nommé ensuite, vient le temps de l’effort définitionnel, pas avant. 
De l’auteur aux générateurs de romans

Si nous admettons que le roman, comme genre littéraire développant une narration fictionnelle, plonge ses racines dans l'Antiquité, dans l'épopée et notamment l’Iliade et l’Odyssée d'Homère, l’Énéide de Virgile, alors nous admettons que ce genre transcende donc la forme et les supports, traverse les siècles et les civilisations, et que les mécanismes de la fiction sont probablement les mêmes que ceux du vivant. Il faudrait relire L’espèce fabulatrice, l’essai de Nancy Huston chez Actes Sud (2008).
Nous lisons ce genre de textes, les romans, pour éprouver des émotions. Ces fictions sont autant de laboratoires dans lesquels nous expérimentons des situations complexes, alors que nous tentons sinon de nous protéger. C’est le merveilleux : « On dirait que… » des jeux d’enfants, qui y retrouve tout son pouvoir évocateur. Nous ne sommes pas loin de la magie, du chamanisme, de l’expérience mystique.

Ces expériences de la fiction acquièrent d’office un statut de réalité dans nos parcours individuels. Il m’arrive régulièrement de douter si j’ai vécu ou lu ou rêvé une scène, une situation précise, et de ne pas pouvoir trancher avec certitude.
 
Une fois le processus de lecture enclenché, s’échapper des limites matérielles de sa réalité, puis, replonger dans sa réalité une fois déconnecté du processus de lecture, est comme une sorte de « respiration de la vie psychique », pour reprendre une formule de Serge Tisseron (dans « La réalité de l'expérience de fiction », L'Homme, 2005/3 n° 175-176, p. 131-145).
D’autres voies, que la lecture, existent certes pour satisfaire ce besoin de déconnexion ; besoin de déconnexion qui n’est donc aucunement lié aux techniques, mais, aujourd’hui comme dans l’Antiquité, simplement aux cadres de la réalité.
Les tensions dans les métiers du livre, par exemple, ou bien les résurgences néo-luddites, ou encore le "Slow mouvement" des offliners, ne sont que les expressions contemporaines d’un malaise beaucoup plus ancien dans la civilisation.
 
Je lisais cette semaine dans Philosophie magazine cet avis de Bernard Stiegler : « Ce n'est pas la technique qui est toxique en soi, c'est notre incapacité à la socialiser correctement. ». Il s'agirait peut-être ici, et depuis l’apparition du langage chez les hominidés, de la question du passage des techniques rationnelles à des technologies relationnelles.
 
Il serait facile en 2012 de recenser et d’écrire sur les logiciels générateurs de textes. Ils existent nous le savons. Ils sont de plus en plus efficaces, dans le sens où ils peuvent tromper de plus en plus facilement des lecteurs humains sur la qualité humaine, ou bien machinique, des scripteurs. Ils déteignent depuis longtemps sur certains auteurs qui formatent leur écriture en fonction des tendances du marché, des lois intrinsèques à un genre littéraire, de la philosophie d’une école d’écriture, ou d’un cours de creative writing d’une université anglo-saxonne. Ils s’inscrivent dans l’évolution de l’espèce, dans la généalogie du “singe dactylographe”, et nous permettent d’expérimenter nos fantasmes des automates littéraires.
J’ai ainsi récemment parcouru l’exposition Mise en culture du langage, de l’artiste-plasticienne Amélie Dubois au Labo de l’édition de la Ville de Paris. Son parallèle entre les cultures microbiennes en boites de Pétri et l’efflorescence des lettres, sa représentation d’une improbable machine productrice de langage (ci-dessous), directement inspirée d’un voyage de Gulliver sur l’île volante de Laputa (Jonathan Swift, en 1721), rendent témoignage d’un imaginaire collectif en train d’excéder  dans son double sens d’outrepasser et d’importuner, nos limites intellectuelles et notre connaissance du passé.
En sortant, en redescendant la rue Mouffetard, l’un des endroits de Paris que j’affectionne particulièrement, j’ai pensé qu’Aurélien Bellanger, l’auteur de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler “un roman wikipédien” (La théorie de l’information aux éditions Gallimard) — toutefois Moby-Dik d’Herman Melville en 1851 mériterait aussi ce qualificatif, j’ai pensé qu’Aurélien Bellanger avait peut-être, soit eu recours à un subterfuge de ce genre, soit, plus vraisemblablement, qu’il avait été agi par les artifices du temps. Des auteurs peuvent devenir les automates littéraires de leur époque.
 
Cette semaine Henry Bauchau est mort. J’avais relu cet été Œdipe sur la route… Cet homme-là était lui dans une geste narrative de la même veine que celle d’Homère et de Virgile, celle où coule le sang de l’espèce.
 
 
 
    
Entendre lire dans son cercueil
 
Ce qui ferait implicitement roman aujourd’hui relèverait donc surtout des signes extérieurs, de l’indication du nom : “Roman”, imprimé sur la couverture d’un volume circonscrit en trois dimensions physiques. Cependant dans mon vécu de lecteur la séparation entre la biosphère réelle et la cybersphère numérique — ou fantasmatique, m’apparaît de plus en plus… fictive.
Le roman culte, par exemple, dépasse cette fausse finitude du livre et s’inscrit dans la légende personnelle de son lecteur ; une expérience singulière de lecture dont nous pouvons peut-être trouver un écho dans Le loup des steppes, d’Hermann Hesse.
 
Je pense pouvoir, assez grossièrement j’en conviens, distinguer les fictions qui se donne pour ambition d’aider leurs lecteurs ; les romans initiatiques — qui présentent le récit de l'évolution d'un personnage qui tente de comprendre le monde et de se comprendre lui-même ; les romans cultes générationnels — ces romans qui fédèrent et influencent un vaste lectorat d’une même génération. Pour ces trois catégories je pense que de multiples exemples viennent spontanément à l’esprit de tous. Mais comment définir ce qui relève de l’intimité du lecteur, de sa rencontre singulière avec une œuvre. Le roman culte. Son roman culte. Mon roman culte. Non pas forcément d’une génération, mais de soi.
Je peux le désigner et le nommer, mais non pas le définir dans son essence ; pour moi c’est : La montagne magique, de Thomas Mann.

Ce qui fera roman un jour sera toujours séparé du flot commun ; ce qui fera roman demain utilisera les techniques de pointe pour réaliser les mondes singuliers des auteurs dans l’univers commun, articuler les mondes, ouvrir des portes et des fenêtres, lancer des ponts et des passerelles ; pour cela tous les supports seront bons, de la pierre gravée à l’implant électronique dans l’organisme du lecteur. C’est dans cette circulation du matériel et de l’immatériel que s’inventeront les nouvelles formes narratives, lesquelles, bien loin d’enterrer le roman, lui donneront une deuxième vie.
 
La mort est toujours possible. Mon rapport à La montagne magique est loin pour moi d’être élucidé.
En méditant sur la mort d’Henry Bauchau ce 21 septembre 2012, je me suis imaginé en cadavre dans un cercueil sonorisé où des années durant serait lu La montagne magique, je me suis imaginé en cadavre dans un cercueil empli de livres imprimés sur du papier et moi, là, entouré et recouvert de livres.
Me décomposer avec les livres ; finir en l’être, et les maux oubliés tourner la page.
Voyez ces vastes cimetières où la vie exulte, où sous la terre se lisent tous ces livres, résonnent tous ces mots dans les cercueils, où la chair et le papier se mêlent ; voyez cette alchimie qui opère les noces de l’Homme et du Livre. Et réjouissez-vous.
 
[DR Illustrations œuvres : sculptures sur livres de l’artiste Guy Laramée, et, Machine à composer des livres, 2011, Amélie Dubois, sculpture bois et cuivre 2,60 x 2,60 m x 70 cm]

mardi 18 septembre 2012

La gratuité du livre numérique vous faisait peur ?

 
Un signal faible auquel nous devrions je pense être attentif dans le contexte de crise économique que nous traversons, et qui est probablement appelée à durer encore quelques années, voire à sérieusement s'aggraver, est le développement de pratiques non-marchandes.
De plus en plus fréquemment j'en observe dans le domaine du livre.
 
Et, asseyez-vous, c'est par le livre imprimé en fait que le phénomène prend de l'ampleur.
Depuis déjà plusieurs années la pratique du bookcrossing ou passe-livres est internationalement répandue, et, en France, bien plus que nous pouvons le supposer.
Autre pratique similaire qui se développe internationalement et qui a eu davantage d'échos : celle des bibliothèques spontanées, issues du mouvement des Little free libraries qui serait parti en 2010 du Wisconsin, avant de gagner la planète entière.

D'autres initiatives se multiplient : par exemple, Circul'Livre, particulièrement actif à Paris, mais aussi dans d'autres villes françaises.
Ou encore, je peux en témoigner, les actions spontanées de lecteurs qui abandonnent volontairement des livres sur les bancs publics, dans le métro, sur les rebords des fenêtres...

La photographie illustrant ce post a été prise le 30 août 2012 par Cathy Legendre, boulevard Saint-Michel à Paris. Il s'agissait d'une petite bibliothèque libre. Émouvant, je vous le dis.
Vivant à Paris je pourrais aujourd'hui facilement lire plusieurs livres par semaine et ce sans débourser un centime ni mettre les pieds dans une bibliothèque publique, ni bien sûr une librairie. Vous le pourriez aussi peut-être.
 
Un seuil semble franchi avec l'organisation croissante de telles pratiques non-marchandes, comme le démontre très concrètement un site web tel que BigLib, qui se présente comme : un "site de consommation collaborative qui permet à chacun de donner les livres dont il n'a plus besoin et de recevoir ceux qu'il désire lire. Le site est entièrement gratuit et sans obligation : vous n'avez pas obligation de donner pour recevoir et vice-versa.".
De quoi ces différents mouvements sont-ils le symptôme ?
De la montée en puissance d'une consommation collaborative, mouvement déjà bien repéré et identifié, qui utilise les nouveaux moyens de communication et ne se développe pas seulement dans le domaine du livre ou des biens culturels.
 
Quand les lecteurs entrent en résistance
 
Tout semble se passer comme si les lecteurs, formés aux usages et à la philosophie, à l'esprit du web 2.0 et, soit par déception du caractère "virtuel" des échanges, soit, par enthousiasme et pour développer IRL (in real life) ces pratiques nouvelles, détournaient certains outils mais surtout certains usages pour les appliquer dans "la vraie vie".
Plusieurs causes peuvent également expliquer en partie le phénomène. Les livres numériques présentent le plus souvent un différentiel de prix, par rapport à leurs homologues imprimés, qui n'apparaît pas suffisamment significatif aux lecteurs, qui sont également des consommateurs, soumis à la crise et à des priorités budgétaires dans leurs foyers.
De plus, les nouveaux dispositifs de lecture restent chers pour beaucoup, avec une forte obsolescence programmée qui ne trompe plus personne et est, je pense, de plus en plus contre productive en termes d'image de marque pour les fabricants.
Des lecteurs craignent, avec les tablettes et les liseuses, de se faire piéger comme ils l'ont été avec la téléphonie mobile.
De plus des difficultés liées aux DRM et qui rappellent les débuts des CD de musique en détournent quelques-uns. Certains ouvrages numérisés présentent, il faut le reconnaitre, des défauts rédhibitoires de "mise en page".
Tous les lecteurs ne sont pas forcément à l'aise pour "faire sauter les DRM" d'un fichier ou en changer le format, tous ne sont pas forcément informés des "bonnes adresses en ligne" et des nombreuses ressources libres disponibles sur le web, peu sont réellement formés à la recherche sur internet...
Par ailleurs les lecteurs sont moins attachés à la propriété matérielle de leurs livres dans des logements où le manque de place est un handicap.
 
Parallèlement il ne faudrait pas négliger je pense la part, difficilement quantifiable mais probablement de plus en plus importante, des téléchargements de fichiers gratuits de livres numérisés, soit en toute légalité du domaine public, sur des sites de qualité comme, par exemple, e-books libres et gratuits, ou parfois en piratage, via la Team Alexandriz par exemple. 
 
Il n'y a pas que les technologies qui évoluent. Les hommes et les femmes aussi.
Les mentalités changent.
Les lecteurs considèrent de plus en plus les livres comme un bien commun.
Les professionnels, tant de l'édition imprimée que numérique, devraient en tenir compte pour mettre en place de nouveaux modèles économiques.
Ce développement d'échanges non-marchands des livres n'est peut-être que l'expression grandissante d'une vague de fond, celle des biens communs de la connaissance, en témoignent le lancement récent du Manifeste de SavoirsCom1 ou du Réseau francophone des biens communs.
 
Ainsi, c'est par le livre imprimé que la gratuité pourrait sérieusement impacter le marché du livre, et d'abord celui du livre de poche, mais pas seulement (la photo en illustration en témoigne).
Malgré le battage médiatique nous voyons bien ces dernières semaines que la fameuse "rentrée littéraire" prend de moins en moins dans la société. Bientôt pour vendre des livres, imprimés ou numériques, il faudra faire preuve d'une véritable originalité et d'un véritable talent ; l'adéquation avec les attentes des lecteurs et l'innovation seront de plus en plus le facteur déterminant pour déclencher l'acte d'achat, alors que des millions de livres, dont de véritables chefs-d'oeuvre parmi eux, seront disponibles partout gratuitement. 
 
[Illustration : photo DR Cathy Legendre]
 

dimanche 16 septembre 2012

Semaine 37/52 : L’édition numérique n’existe peut-être pas !

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon sentiment personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 37/52.
 
La polémique stérile de ces derniers jours autour de l’Appel des 451 et du soutien de Maurice Nadeau (qui doit légitimement s’inquiéter pour le devenir de La Quinzaine littéraire), cela ajouté à la nausée du flux quotidien de désinformation, tout cela a remué pas mal de doutes en moi toute cette semaine, et toutes ces interrogations peuvent se résumer en fin de compte en une seule et unique question essentielle, qu’il nous faut je pense regarder en face : l’édition numérique existe-t-elle vraiment ?
    
Penser sur un autre rythme
 
A observer ce qu’il se passe dans le champ des politiques d’édition depuis une dizaine d’années, nous pouvons douter de la réelle émergence d’une édition numérique constituée en tant que telle.



  
Nous devrions je pense étudier deux hypothèses.
La première serait la possibilité que l'édition numérique ne soit peut-être que l’épiphénomène d’un phénomène beaucoup plus vaste et bien antérieur à l’invention du web en 1989 par Tim Berners-Lee au CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) de Genève, et même antérieur à l’idée du Mundaneum par les Belges Paul Otlet et Henri La Fontaine, vers 1895 avec la création de l'Office international de bibliographie.
Cette première hypothèse ne m’apparaît pas farfelue, elle est crédible et relativise l’importance de ce autour de quoi nous nous agitons tant, moi le premier.
 
Nous pourrions peut-être faire remonter ce phénomène, dont ce que nous appelons aujourd’hui “édition numérique” serait l’épiphénomène, à l’Arbre de Porphyre au… troisième siècle. (Voir à ce sujet les travaux d’Umberto Eco et notamment son recueil d’essais : De l’arbre au labyrinthe, études historiques sur le signe et son interprétation.)
 
Notre emballement trouve peut-être en partie une explication dans notre mésusage français du terme “numérique”, tel que l’a pertinemment dénoncé Alexandre Moatti dans la revue Le débat, récemment consacrée au thème : Le livre, le numérique.
Numérique” est en fait, comme nous le rappelle donc Alexandre Moatti, un adjectif, et s’il le reste dans : “l’édition numérique”, il se retrouve cependant couramment et abusivement substantivé (“le numérique”), et ainsi amené à conceptualiser et sacraliser ce qui relève en fait de la puissance de l’informatique et de l’électronique, tout en se reliant au superpouvoir de l’Internet.
Un tel glissement de sens génère de l’inintelligibilité. Comme le remarque Alexandre Moatti, le terme : « en vient ainsi à être utilisé ad nauseam pour figurer l’immatériel, au détriment de l’immense base matérielle et logicielle sous-jacente ».
 
Parler “d’édition numérique” sans savoir de quoi l’on parle précisément et si celle-ci existe réellement, influence l’évolution de l’édition sans que l’on sache exactement dans quel sens.
Moatti conclut : « Le numérique en vient à être phénoménalisé et, dans son acception culturelle, presque sacralisé au rang d’un mode d’expression et de communication (sans rapport avec le sens initial de l’adjectif), comme l’écrit ou l’oral. ».
 
La seconde hypothèse avancerait l’idée que l’édition numérique serait peut-être une sorte d'impasse technologique, comme le fut le parchemin.
Le papier, comme nous le rappelle Roger Dédame dans Les Artisans de l’écrit, aura mis quinze siècles pour arriver en Europe, considérant qu’il fut mis au point en Chine vers le deuxième siècle avant l’ère commune, si l’on en croit Erik Orsenna et les spécialistes qu’il a consultés pour son ouvrage Sur la route du papier.
Pourquoi ce retard européen ? Parce qu’un ensemble de causes conjoncturelles, mélangeant le contexte géopolitique international, l’accès aux ressources, mais aussi les intérêts économiques de corporations, a finalement conduit à remplacer le papyrus par le parchemin, ralentissant ainsi l’émergence de l’imprimerie.
Aussi devrions-nous nous interroger davantage aujourd’hui sur la justification et le destin des supports, d’autant qu’ils prennent parfois l’apparence de gadgets technologiques à forte obsolescence programmée. 
 
Les antiennes amplifiées quotidiennement par la blogosphère, du genre : la rentrée littéraire est cette année numérique, c’est l’an 0 ou l’an 1 (sic, ça ne vous rappelle rien ces 0 et ces 1 ?) de l’édition numérique, les ventes de tablettes et de liseuses pour les fêtes de fin d’année vont être exceptionnelles, etc., tout cela participe simplement du conditionnement des consommateurs que nous sommes tous.
 
Ces rengaines nous installent à notre insu dans une cyclicité fictive qui n’entretient pratiquement aucun rapport de réalité avec l’histoire du livre et ses évolutions actuelles.
Le plus gros de ces mensonges est celui de la nouveauté. Il s’exprime particulièrement dans les médias grand public sous la forme suivante : « Nous sommes au tout début de… ». C’est faux !
Il y a déjà, au moins depuis 1945 et le Memex de Vannevar Bush au MIT, une véritable préhistoire de “l’édition numérique”, et donc de la prospective du livre, préhistoire dont les principaux paliers peuvent être marqués par : en 1972 le projet DynaBook d’Alan Kay au Parc Xerox de Palo Alto ; en 1977 au MIT, la conception de l’encre électronique (e-ink) et du papier électronique (e-paper) par Nicholas Sheridon ; en 1996 le projet français @Folio de Pierre Schweitzer à l’École d’Architecture de Strasbourg ; de 1998 à 2000 aux États-Unis et en France les premières tentatives avortées de commercialisation de nouveaux dispositifs de lecture (Rocket eBook, SoftBook et Gemstar aux États-Unis, Cybook de la société française Cytale, portée entre autres par Jacques Attali et Erik Orsenna, et sa mise en liquidation judiciaire en 2002), jusqu’à l’échec commercial en 2004 de la première liseuse au Japon (le Librié de Sony).
En parallèle il faut également prendre en considération le mouvement initié dès juillet 1971 par Michael Hart, avec l’e-Text#1 puis le lancement du Projet Gutenberg ; en 1996 l’initiative française du lancement sur le web du premier réseau social consacré au livre et à la lecture : Zazieweb, par Isabelle Aveline ; en 1998 le premier éditeur numérique français : les éditions 00H00, avec Jean-Pierre Arbon, Bruno de Sa Moreira, Constance Krebs ; en 1999 “Le Labyrinthe de la littérature française contemporaine sur le réseau” par Christine Genin.
Ce qui caractérise ces initiatives françaises c’est qu’elles ont toutes été abandonnées faute de soutiens économiques, politiques, médiatiques, publiques. D’autres que je ne cite pas n’ont pas eu un avenir plus radieux, mais il faut dire qu’elles étaient probablement d’emblée organisées pour lever des fonds ou encaisser des subventions avant de fermer boutique. Ainsi il fut et voilà où nous en sommes. 
 
Beaucoup tentent d’imaginer l’avenir tout en étant, en fait, prisonniers d’un modèle américain antérieur de quelques décennies. Ils ont toujours ainsi un temps de retard que nous payons cher. La sound designeuse Christine Webster me le faisait justement remarquer cette semaine : « la théorie de l'information de Mac Luhan ne s'accorde plus à la plasticité des mediums numériques d'aujourd'hui. ».
Appelez cela comme vous voulez, édition numérique, littérature numérique, web littéraire, etc. : ce n’est pas nouveau et c’est sur un cimetière que nous réfléchissons et sur un rythme inadapté aux échelles de temps concernées.
 
Nous pensons sur un rythme ruminant et trépidant à la fois, comme des chèvres droguées, alors que nous devrions être des aigles, de grands fauves à la chasse, lancés comme de jeunes chiens fous dans l’espace infini du futur.
Ce qui est à l’œuvre opère sur une échelle de temps sans commune mesure avec l’agitation entretenue.
Plus on s’agite, plus le temps semble passer vite, plus nous ne vivons que l’instant présent, oublieux du passé et imprévoyant quant à l’avenir ; nous demeurons dans l’immédiateté, dans la satisfaction illusoire de désirs de substitution, sitôt assouvis sitôt remplacés par d’autres et qui se succèdent ainsi les uns aux autres comme des gouttes de pluie. De petits désirs de consommateurs sans envergure. Un temps de feu d’artifice permanent. Éblouissant et assourdissant et qui nous laisse trempés détrempés, et trompés.
 
(Je repense à une conversation dans un café il y a quelques semaines durant laquelle mon interlocuteur a eu l’inélégance d’avancer l’idée que si je n’avais pas d’iPad, ce n’était pas par choix personnel, mais parce que je n’aurais pas les moyens de m’en acheter un. Pauvre société que celle où les rapports humains se délitent ainsi, se hiérarchisent par rapport à la possession de “biens” de consommation. Je pourrais bien lui en offrir un ou deux d’un modèle plus récent que le sien, pour lui et son épouse, mais je refuse bel et bien de faire l’acquisition de tels objets. De même je n’ai pas la télévision  et ce n’est pas pour économiser la redevance !)
 
De l’agitation marketing autour de la marque Amazon ces dernières semaines il semble évident que l’édition numérique n’existe pas, qu’il ne s’agit que d’une sorte d’artefact-cobaye de la progression silencieuse de l’économie comportementale, et que cela ne durera que quelques années, un feu de paille au regard du lent travail de transmission des scribes aux codeurs.
 
Par facilité de langage je parle moi-même souvent du passage de l’édition imprimée à l’édition numérique. Et j’ai tort. Personne ne peut savoir comment l’édition va réellement évoluer et personne ne peut savoir ce qu’elle sera et comment elle s’appellera.
Mais employer aujourd’hui l’expression “édition numérique”, réfléchir avec cette réflexion en tête, oriente nos choix actuels.
 
Dans son texte La conquête de l’ubiquité, en 1928, Paul Valéry prédit déjà « des changements prochains et très profonds dans l’antique industrie du Beau. », seulement “l’industrie du beau” est aujourd’hui l’industrie du divertissement.
Comme Paul Valéry dans ce texte, il nous faut réfléchir sur un rythme plus accéléré et moins moutonnier que celui de notre temps.
Comme Borges il nous faut dépasser les limites étroites de la rationalité.
Il nous faut réenchanter le livre et la lecture.
Avec ou sans le numérique.
 
Je fais le pari que nous ne parlerons plus “d’édition numérique” dans une cinquantaine d’années, et je pense que nous devrions d’ores et déjà essayer d’anticiper ce que l’édition sera, par rapport entre autres au transmédia et aux jeux vidéos multi-joueurs en réalité augmentée notamment.
 
Bien sûr, cette anticipation demande une prise de distance que la conjoncture rend difficile aux entreprises européennes. J’ai déjà appelé à plusieurs reprises à la constitution d’un think tank sur ce sujet. Il est fort regrettable que celui originellement prévu par Bruno Rives au sein du Labo BnF n’ait jamais eu d’existence réelle.
Faute de moyen et d’ambition nous allons ainsi, comme les aveugles de Breughel.
 
 
 
Une trahison des historiens ?
 
Une autre question se pose. Les historiens du livre ne sont-ils pas en train de faillir à leur mission d’éclairer le passé pour nous aider, dans le présent, à faire les meilleurs choix pour notre avenir ? Ne manquent-ils pas à leurs devoirs en se repliant dans le confort de l’académisme et des sociétés savantes, en dissertant entre pairs dans leurs colloques d’universités et de grandes écoles sur des sujets ultra-spécialisés et généralement concentrés sur l’imprimé dans les siècles passés, au lieu de travailler sur les périodes de tensions et de mutations, sur une échelle de temps plus longue que celle de la forme livre telle que nous l’appréhendons aujourd’hui. 
 
En nous aidant de ce qu’écrit Frédéric Barbier dans sa postface à l’édition de 1999 de L’apparition du livre, de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin (Albin Michel éd.), nous pouvons distinguer plusieurs époques dans ce que l’on peut qualifier de préhistoire de l’histoire du livre.
 
Dès le 18e siècle il s'agit en fait d'une histoire de l'imprimerie et de ses débuts, rédigée par "les libraires érudits". Puis d’une lecture politique de l'apparition et du développement de l'imprimerie. Puis d'une histoire des et par les catalogues des éditeurs. Avant d’arriver au tournant impulsé par l’essai de Febvre et Martin en 1958 avec une approche davantage sociétale des impacts du livre sur les sociétés.
 
Mais cette discipline qu'est l'histoire du livre reste le plus souvent concentrée sur ce qui fut à l'époque de son apparition une nouvelle technologie de l'information et de la communication : l'imprimerie typographique. Un procédé technique nouveau qui rendait alors possible une plus grande circulation des textes, un partage et un accès aux savoirs qui étaient jusqu'alors impossibles. Cela ne vous rappelle rien ?
 
Frédéric Barbier le précise clairement dans sa postface : « Les deux champs privilégiés par cette manière de préhistoire du livre se placent ainsi, on le voit, du côté du livre au sens strict, qu'il s'agisse d'abord d'histoire des techniques (et notamment du moment de référence, celui de l'apparition de l'imprimerie, identifiable avec L'Apparition du livre lui-même) et des ateliers typographiques, ou d'histoire de la production imprimée. » (pp. 545-546).
 
Il serait temps que l’histoire du livre déborde de ces limites, épouse l’histoire des écritures et de la lecture, et ne reste plus focalisée sur l’imprimé.
 
Il serait temps, s’il n’est déjà trop tard, d’initier une nouvelle étape de l’histoire du livre, analysant les périodes de crises et de mutations des supports, des techniques, des usages…

mercredi 12 septembre 2012

Rentrée Littéraire sur MétaLectures

La rentrée littéraire sur MétaLectures s'écrit sur des perspectives en marge, plus en lien avec les arts numériques (voir en illustration une réalisation de l'artiste Cherry Manga sur le métavers francophone 3D Francogrid), ou en lien avec la recherche.
Notre premier rendez-vous sera ainsi à l'occasion de l'ouverture du laboratoire virtuel du Projet Synesthéorie porté par Vincent Mignerot :
Tkink Lab sur la perception, les synesthésies et leurs apports pour les nouvelles technologies. Ce sera en ligne le vendredi 21 septembre à 21H00.
Plus d'infos sur le blog de MétaLectures et sur le site du Projet Synesthéorie.
 

dimanche 9 septembre 2012

Semaine 36/52 : “Appel des 451”, mais combien sont-ils à freiner dans le virage ?

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 36/52.
 
Cette semaine a été lancé dans le journal Le Monde : l’Appel des 451. Cet appel est révélateur du climat de tension qui règne maintenant sur tout l’écosystème du livre et de l’approche de la grande catastrophe, le jour où des acteurs comme Amazon, Google ou Apple en prendraient le contrôle (j’emploie encore le conditionnel).
Dans ce sens, cet appel et ses signataires méritent le respect.
Cet appel s’inscrit dans un mouvement de fond bien plus vaste et véhicule des idées qui s’expriment dans la rue, que j’entends régulièrement de la bouche d’auteurs, de lecteurs, de bibliothécaires ou d’enseignants qui n’ont pas accès aux médias comme tribune et qui ne cherchent pas significativement à s’exprimer sur cette question sur le web.
 
Un néo-luddisme qui ne dit pas son nom !
 
 
Umberto Eco, Jean-Claude Carrière, Erik Orsenna, Frédéric Beigbeder, Jonathan Franzen, pour les écrivains, Jean-Marc Roberts, pour les éditeurs, tous, entre autres, se sont déjà distingués par des prises de positions similaires et parfois plus violentes encore. Il y a à peine quelques mois les propos excessifs de Yann Moix dans la revue de Bernard-Henri Lévy, La Règle du jeu, y ont eu davantage d’écho que les réponses constructives que j’avais voulu y apporter à Sophie Dubec et Raphaël Denys (Vers une mort programmée du livre ?) dans un entretien qui trouva lui un écho au-delà les Pyrénées, dans la revue madrilène Trama y texturas.
 
Si nous jouons leur jeu primitif de nous regrouper en deux camps opposés, pour grogner des injures et nous jeter des pierres, qu’aurions-nous alors dans cette répartition fratricide des camps en présence ?
Dun côté, ce groupe des 451, donc (en référence à Fahrenheit 451 de Bradbury, mais combien sont-ils en réalité ?). Aussi le Collectif livres de papier, issu de la mouvance libertaire néo-luddite (je remarque d’ailleurs un de leurs sympathisants dans les signataires de cet Appel, Dominique Mazuet de la librairie parisienne Tropiques et auteur du récent : Correspondance avec la classe dirigeante sur la destruction du livre et de ses métiers, aux éditions Delga).
En 2008, la création par l’éditeur Philippe Zawieja de l’APE, Association des professionnels de l’édition, était aussi dans cette veine, avant de trouver un second souffle avec quelques jeunes professionnels qui ont bien compris que l’avenir de leurs métiers n’était pas dans le passé.
Nous avons également l'Association Culture papier, créée en janvier 2010 et présidée par Laurent de Gaulle, structurée et agissant en véritable groupe de pression fédérant plusieurs dizaines d’associations professionnelles de l’industrie graphique.
De l’autre côté, sur le web et les réseaux sociaux, les adeptes de l’édition numérique, qui se lisent surtout entre eux, ont vite fait de crier à la ringardise et de stigmatiser les défenseurs du papier comme de vieux conservateurs réactionnaires, et, eux aussi, comme des adversaires. Leurs commentateurs ne les suivent pas toujours et cela devrait les questionner davantage je pense.
 
Toutes ces agitations, d’un côté comme de l’autre, participent d’une fabrication de l’ennemi, et recouvrent en fait l’immobilisme et l’impuissance d’une interprofession, d’une chaine livre du livre qui n’a jamais véritablement existé comme solidaire, tant les corporatismes ont toujours prévalu en son sein.
Opposer, même implicitement, littérature et outils informatiques, opposer lecture et nouveaux dispositifs de lecture est vain et puéril. Car le point sensible, l’enjeu, n’est pas dans la relégation matérielle d’objets au profit d’autres objets, mais, au niveau de la perte ou du gain de valeurs qui peut s’opérer dans la substitution.
 
Nous ne devrions ni geindre ni nous opposer les uns aux autres, mais aller de l’avant et innover : travailler ensemble à l’avenir du livre  sous toutes ses formes, et de la lecture  dans toutes ses pratiques, pour assurer à la société du 21e siècle des outils, non d’asservissement collectif, mais de libération individuelle.
 
Freiner dans le virage, comme le fait la France, est le meilleur moyen pour se retrouver dans le fossé.
Sans avoir pour autant raison, ces personnes des 451 n’ont pas tort au fond dans leurs constats. La scandaleuse précarisation des professionnels du livre, l’évanouissement de la culture dans la distraction, je les sens au quotidien peser sur moi. Mais elles ont, je crains, un train de retard.
En 2012 leur appel résonne comme un cri de détresse. Le spectre qu’il dresse devant nous se matérialise comme l’ectoplasme d’une résurgence luddite qui n’ose pas dire son nom, ni s’exprimer comme telle pour dialoguer avec nous.
 
Il faut répondre à cet Appel !
 
Dans le numéro 170 de la revue des éditions Gallimard, Le débat, Pierre Assouline dresse avec son article : La métamorphose du lecteur, un panorama qui m’apparaît assez juste. « N’ayez pas peur ! Voilà le message que l’on voudrait faire passer à tous ceux que l’empire d’Internet sur le livre effraie », écrit-il, avant d’ajouter quelques pages plus loin : « Le plus grand effort exigé des sceptiques, réticents et récalcitrants est une révolution intérieure, un changement de paradigme qui remette en question un héritage vieux de plusieurs siècles : il ne s’agit de rien de moins que de leur apprendre à dissocier le livre du texte qu’il contient, les organes de la peau. Alors seulement ils pourront envisager que le nouveau support n’assassine pas le message ni la lecture, et que la diffusion de la littérature, des idées et de la culture a tout à gagner à ce second souffle. ».
Mais parce qu’externaliser certaines de ses fonction mentales à des algorithmes demande en effet de dépasser sa peur, et parce que, si nous avons “tout à gagner” il n’est pas dit pour autant que nous gagnerons effectivement, pour ces raisons j’ai presque été tenté de signer cet Appel des 451. Je l’ai été.
Il faut en tous cas répondre à cet appel. Que répondent le SNE (Syndicat national de l’édition), la SGDL (Société des gens de lettres de France), le SLF (Syndicat de la librairie française) ? Le ministère de la culture ? Qu’ont-ils à répondre ?
Des réponses ont déjà été faites certes, dont certaines pertinentes, mais dans une logique de confrontation. Elles tournent sur le web et elles n’auront probablement pas, comme cet Appel, les honneurs ni du Monde ni de Livres Hebdo. Cela est symptomatique. Elles réagissent “en ligne” d’un sursaut épidermique aux critiques et refusent la discussion, le débat. Cela aussi est symptomatique.
 
Car, oui, il y a danger. Les industries qui veulent structurer et monopoliser au profit de leurs actionnaires un marché du livre organisé sur de nouvelles règles commerciales monopolistiques sont logiquement exactement le contraire d’organismes culturels internationaux à but non lucratif. Ces nouveaux industriels sont plus dangereux certainement que ceux de l’imprimé, car ils bénéficient d’une puissance décuplée par la dématérialisation. Ils sont exclusivement de culture anglo-saxonne et anglophones (alors que toutes les langues, et le Français comme les autres, sont porteuses et véhicules de vertus et de valeurs culturelles spécifiques) ; et ils profitent en outre d’une légèreté fiscale (soit en bénéficiant depuis 1998 aux États-Unis de l’Internet Tax Freedom Act, interdisant l’imposition de taxes sur les services d’Internet, soit, en domiciliant leurs sièges sociaux au Luxembourg), ils profitent d’une légèreté fiscale donc à laquelle nous autres Gaulois, comme dirait Jean-Michel Billaut, n’osons même pas rêver ! Et alors ?
Écrire, dire, crier ou hurler : « NON ! », à quoi cela servirait-il ?
S’enfouir la tête dans le sable, cela fait déjà plusieurs décennies que l’interprofession du livre et que les pouvoirs publics français le font, à quoi cela sert-il ?
A part du côté de chez François Bon et de sa maison Publie.net, il faut vraiment avoir l’esprit large pour trouver une démarche d’éditeur numérique qui ne soit pas dans l’allégeance et la copie de modèles d’outre-Atlantique.
 
L’édition francophone du 21e siècle, qu’elle soit numérique ou n’importe quoi d’autre, ne peut s’imaginer, s’inventer et se construire, que dans le dépassement du clivage les anciens vs les modernes et le renoncement au “modèle américain”.
 
L’éditrice Chantal Vieuille a je pense raison dans son constat : « Ce qui est certain c'est que la pensée dominante dans l'édition numérique est américaine. Ce qui est certain c'est que la culture des livres circule aujourd'hui selon des formatages mis au point par des développeurs. Le libraire en ligne, pour le moment, est loin de jouer le rôle de conseiller ou de passeur de livres, comme le libraire peut l'être dans son magasin. A feuilleter les pages d'une librairie en ligne, on éprouve rapidement un certain ennui, né de la ressemblance, du mimétisme, du déjà vu... Forcément, tout cela va finir par disparaître ! Ce qui apparaît, poursuit Chantal Vieuille, c'est qu'il n'existe pas d'éditeurs français porteurs d'un véritable projet éditorial, dans l'édition numérique, si l'on admet qu'un éditeur, au sens classique du terme, est "un passeur de textes". Mais au fur et à mesure, à travers le monde, sans doute pas en France qui vieillit et prend du retard, des initiatives vont émerger pour rendre visibles des textes, sous un format dématérialisé. Des textes témoins de notre monde, de notre curiosité intellectuelle. ». (Extrait de : Les livres numériques pour la rentrée 2012).
 
Et puis : pourquoi n’avons-nous pas en France, en Europe, des Google, des Amazon, des Apple ? Et devons-nous le regretter ?
Pendant qu’ici nous jouons à la guerre tribale, s’opère effectivement de là-bas la dissolution de la lecture dans la culture mainstream et le basculement du marché du livre dans le cloud computing. Si c’est ce que nous voulons, alors continuons ainsi !
 

samedi 1 septembre 2012

Semaine 35/52 : Pourquoi Danton ?

Durant l’année 2012 j’ai décidé de publier ici même chaque semaine un billet exprimant mon ressenti personnel sur la semaine précédente, dans la perspective, bien évidemment, des problématiques de la prospective du livre et de l’édition.
Ce post est donc le 35/52.
 
Dans le sixième arrondissement parisien, place Henri Mondor, longé par le boulevard Saint-Germain, se dresse Danton. Longtemps je me suis demandé pourquoi. La réponse est simple : il habitait là, il a été arrêté à proximité. « Pour vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace. » (Danton, 1792).
Le lien avec l’actualité de l’édition est assez évident, dès lors qu’atteint de l’acuité permettant de le ressentir, on imagine bien comment tout, autour du marché du livre, se trame depuis cette petite superficie superficielle.
 
Une statue à Singe-des-Prés
  
Je pense, j’espère, que c’est la dernière fois que je parle de Saint-Germain-des-Prés dans cette chronique. Ce quartier m’épuise à creuser ma tombe avec acharnement trop tôt trop vite et contre ma volonté surtout, qui m’enterrerait vivant presque, si je me laissais faire !
Je voudrais seulement dire, pour conclure sur ce sujet, qu’il serait humainement juste, si l’on ne déplace ailleurs cette statue de Danton pour y élever à sa place une à la gloire de Jacques Besse (photo), l’auteur météorique de La grande Pâque, et de si magnifiques pages sur ses déambulations hallucinées en plein "Singe-des-Prés", en long en large et en travers ; lui, Jacques Besse, qui osa : « ajouter une voix sifflotée au prodigieux choral joyeusement païen » du carrefour de l’Odéon, au moins, de lui en ériger une autre de statue alors, au cœur même de ce carrefour de l’Odéon, face aux Éditeurs, en  lieu et place de l’arbre solitaire qui en réserve déjà symboliquement l’endroit aux yeux de celles et ceux, rares, qui savent voir l’envers des décors.
Je l’imagine un peu, cette statue, comme celle de Pierre Mendès-France, que j’ai plaisir à aller saluer chaque fois que je passe au jardin du Luxembourg.
Les statues ne sont pas que de la pierre, elles sont aussi ce qu’elles remuent en nous. Et pas mal de cadavres remuent à Saint-Germain-des-Prés, surtout maintenant que le vent se lève, que l’ombre de Sartre et de son époque y est périmée, sa statue, à Sartre, déboulonnée par Michel Onfray.