lundi 12 janvier 2015

Bibliographie naturelle et anthropocentrisme

De gauche à droite Georges Chapouthier (CNRS),
Lorenzo Soccavo, Sylvie Dallet (responsable du séminaire). 
Ma récente intervention à la Maison des Sciences de l'Homme - Paris Nord, dans le cadre de la séance de janvier 2015 du séminaire "Éthiques et Mythes de la Création : Parentés animales de la pensée humaine – Le retour des forces spirituelles associées" était titrée "Dépasser l'horizon humain pour se ressaisir de la force spirituelle du langage".
J'ai d'abord légendé les trois tableaux ci-dessous, puis j'ai essayé de développer une réflexion théorique sur la possibilité que des textes puissent nous ouvrir l'accès à d'autres territoires ou à d'autres formes d'expression du vivant, et sur la possibilité que le langage recèle certaines formes de vie.
 

1 - L'allégorie de l'aube - 1544 - Battista Dossi
Nous sommes d'une espèce animale capable d'anthropomorphiser les phénomènes et de les articuler dans des récits à la mesure des capacités d'imagination et d'entendement que nous pouvons mobiliser. Cette représentation de l'aube nous stigmatise comme membres de L'espèce fabulatrice.
2 - La Vierge de l'Annonciation - 1475 - Antonello de Messine
Le mystère de l'Annonciation s'illustre ici comme une expérience intime dans l'espace mental de Marie, en l'intériorité de sa pensée, une intériorité hors lieu, une pensée de l'être qui habite le dedans, une prise de conscience.
(Commentaires : cela peut nous conduire nous à une réflexion sur la réalité d'espaces intérieurs, où la pensée humaine pourrait se relier au vivant au sein de non-lieux (et nous relier à des sur-êtres ? Comme l'Ange Gabriel ?), des architectures imaginaires et interprétatives (c'est-à-dire qui recèlent des interprétations), des rébus habitables, des projections holographiques de pages écrites (ou de volumes). Nous connaissons tous ici de tels contextes qui dissimulent des alphabets non phonétiques, par exemple des lieux qui sont consacrés (cathédrales, etc., mais qui peuvent être aussi dans la nature, comme des enceintes de pierres levées – cromlech, monuments mégalithiques, menhirs, ou comme les pistes chantées des aborigènes australiens…). C'est-à-dire des contextes non-alphabétiques qui font écho dans nos territoires intérieurs.
L'exploration des parentés animales de la pensée humaine ne passerait-elle pas par celle de ces inexplorés territoires intérieurs ?
   
3 - Sisyphe au pied de la Tour de Babel - 2014 - Hervé Fischer
Pourrait-on imaginer la Tour de Babel comme métaphore de la tour d'ivoire du lecteur ?
(Commentaires :
Le mythe de Sisyphe : pour avoir osé défier les dieux Sisyphe fut condamné à rouler jusqu'en haut d'une colline un rocher qui éternellement redescendait avant qu'il ne parvienne au sommet. (Serait-ce ici une bulle à calculi de Sumer ? l'anthropologue des écritures Clarisse Herrenschmidt les présente comme des projections de la cavité buccale qui renferme les mots avant qu'ils ne deviennent paroles. Ce sont ces boules qui aplaties deviendront des tablettes d'argile tenant dans une main ouverte…).
Le mythe de la Tour de Babel : pour avoir osé défier les dieux les hommes voient leur langage brouillé et se dispersent sur la surface de la Terre (Terre : projection macrocosmique de la boule roulée par Sisyphe ?).

Texte de réflexion

Comme une éponge imbibée d'eau, peut-être notre encéphale est-il imbibé de fiction, et que quelles que soient les singularités que nous percevons nous tendons généralement à les interpréter comme rationnelles, et peut-être que le clivage nature/culture n'est qu'une pure illusion anthropocentrique.
Les mythes qui nous activent, tels des programmes sémantiques (comme nous parlerions de programmes informatiques pour désigner des séquences d'instructions conditionnant des réponses spécifiques) sont tissés de langage, d'une grammaire qui conditionne la manière dont nous interprétons des signaux, les ordonnançant en récits, ce qui aurait pour conséquence d'engendrer l'illusion du temps (cf. tableau 1 : L'Allégorie de l'aube).
Je cherche là à évoquer des contextes sécrétant leur propre substance temporelle (comme dans le roman La montagne magique, Thomas Mann), en entendant par contexte un rébus habitable, une substitution métaphorique en trois dimensions à du texte (c'est-à-dire à du langage) (cf. tableau 2 : La Vierge de l'Annonciation).
 
S'agissant des Parentés animales de la pensée humaine j'avancerais l'idée que le vécu du vivant serait, sinon littéraire, nécessairement narratif, et je poserais la question suivante : peut-on être vivant sans avoir de vécu ?
Comme texte-contexte je me référerais alors à la notion de bibliographie naturelle (nous en trouvons une bonne définition descriptive dans l'approche de la ville de Tamara, dans le recueil Villes invisibles, d'Italo Calvino:
« L'œil s'arrête rarement sur quelque chose, et seulement quand il y a reconnu le signe d'autre chose : une empreinte sur le sable indique le passage du tigre, un marais annonce une source, la fleur de la guimauve la fin de l'hiver. Tout le reste est muet et interchangeable ; les arbres et les pierres ne sont que ce qu'ils sont. Pour finir, le voyage conduit à la ville de Tamara. On y pénètre par des rues hérissées d'enseignes qui sortent des murs. L'œil ne voit pas des choses mais des figures de choses qui signifient d'autres choses » ; nous penserons aussi à cette bibliothèque que nous appelons « univers » (« L'univers (que d'autres appellent la Bibliothèque) », La bibliothèque de Babel, Borges).
L'animisme, qui laisse l'humain intégré au réseau du vivant, pourrait-il être une voie pour renouer le fil avec ces forces spirituelles qui relieraient pensée humaine et pensée animale dans un même champ vibratoire ?
 
Plusieurs expériences pourraient ici être rapportées. J'en propose une, extraite de l'ouvrage Mystiques et magiciens du Tibet d'Alexandra David-Néel en 1929. L'auteur relate le récit d'un lama qui dans sa jeunesse avait avec son frère quitté son monastère pour aller servir et étudier auprès d'un ascète étranger qui venait de s’installer dans leur région. Comme cela se pratiquait pour combattre à la fois la peur et l'incrédulité des disciples concernant l'existence des démons, étant entendu comme le rapporta alors un docteur en philosophie à Alexandra David-Néel que :
« Le disciple doit comprendre que dieux et démons existent réellement pour ceux qui croient à leur existence et qu'ils possèdent le pouvoir de faire du bien ou du mal à ceux qui leur rendent un culte ou qui les redoutent. », l'ascète ordonna au plus jeune des deux frères d'aller s'attacher trois jours et trois nuits à un arbre dans un endroit isolé, et de s'imaginer une vache offerte en offrande, précisément là où rodait un démon sous la forme d'un tigre. Le matin du cinquième jour le maître dit au disciple resté près de lui d'aller chercher son frère car il avait fait un rêve étrange. Il alla et trouva le corps de son jeune frère déchiqueté et à demi dévoré. Lorsqu'il revint à la hutte celle-ci était vide et le maître disparu. Dès lors nous avons plusieurs niveaux d'interprétation de cette histoire. D'abord celui littéral des faits : ne voyant pas revenir son disciple l'ascète a compris qu'il avait eu un accident et a préféré s'éclipser discrètement. Puis, celui du lama racontant l'histoire et qui, à l'époque, considéra que le démon-tigre avait effectivement eu raison de son jeune frère pas encore suffisamment avancé initiatiquement pour s'en défendre. Enfin, le niveau d’interprétation auquel le lama parvint après plusieurs années de travail, à savoir que l'ascète en question était probablement lui-même le démon-tigre, métamorphosé en homme pour piéger de jeunes moines venant de quitter leur monastère.
Dans son essai Marcher avec les dragons (2013) l'anthropologue Tim Ingold montre comment dans les communautés monastiques du moyen-âge occidentale le recours au dragon jouait le même rôle que celui du démon-tigre tibétain :
« le dragon, précise Tim Ingold, existait pour autant que la crainte existe, non comme une menace extérieure mais comme une souffrance imprimée au cœur même de la personne qui la subissait. En tant que tel, il était aussi réel que l’expression de son visage ou l’insistance de sa voix. Mais il ne pouvait être vu ou entendu que par celui qui en était lui-même effrayé. ».
 
Pour progresser vers une impossible conclusion je citerai une nouvelle fois Italo Calvino dans une autre de ses villes invisibles (Théodora, étymologiquement "don de Dieu") : « Reléguée pendant un temps indéfini dans des repaires à l’écart, depuis l’époque où elle s’était vue détrônée par le système des espèces désormais éteintes, l’autre faune revenait au jour par les sous-sols de la bibliothèque où l’on conserve les incunables, elle descendait des chapiteaux, sautait des gargouilles, se perchait au chevet des dormeurs. Les sphinx, les griffons, les chimères, les dragons, les hircocerfs, les harpies, les hydres, les licornes, les basilics reprenaient possession de leur ville. ».
 
Vous comprenez bien que je ne peux pas conclure, je dirais simplement que je crois qu'avoir, à la fois l'humilité et le courage, que je qualifierais de chevaleresques, tels l'humilité et le courage de Don Quichotte, de dépasser l'horizon humain pour se ressaisir de la force spirituelle codée (infusée ? Engrammée ?) dans notre langage, c'est s'autoriser à incarner le rôle décisif de Sisyphe roulant une bulle à calculi sur la face de la Tour de Babel (cf. tableau 3 : Sisyphe au pied de la Tour de Babel), ce qu'il faudrait concevoir comme une expérience de pensée.
 
Si l'on s'intéresse vraiment à la lecture, et se reportant aux parentés animales de la pensée humaine, les quelques illustrations et exemples que je vous ai proposés aujourd'hui, avancent deux idées :
1 – que nos contextes sont tissés de textes qui pourraient nous ouvrir l'accès à d'autres territoires et à d'autres expressions du vivant ;
2 – que le langage recèlerait des formes de vie, comme, par exemple, des démons-tigres ou des dragons.

 

dimanche 21 décembre 2014

Vivez enfin une rencontre littéraire du 21e siècle !

Le samedi 10 janvier 2015 à 21H00 (heure française) connectez-vous pour vivre une rencontre littéraire inédite d'une heure entre la France et le Québec.
Vivez l'expérience exceptionnelle d'un café littéraire qui explose à la fois les distances terrestres et les limites du web 2D en découvrant le programme "Ma Librairie en 3D" et en rencontrant des auteurs sur la plateforme web 3D immersive EVER (Environnement Virtuel pour l'Enseignement et la Recherche) de l'Unera (Université Numérique en Région Alsace).
 
Programme
 
- Présentation depuis Thetford Mines (Québec) et lecture par la romancière canadienne Danielle Dussault, de son récent roman "Anderson's Inn" (Lévesque éditeur) 20 minutes et échanges avec l'auditoire...
 
- Présentation depuis Paris par le chercheur en prospective du livre, Lorenzo Soccavo, de son récent essai "Les Mutations du Livre et de la Lecture en 40 pages" (Uppr éditions) 20 minutes et échanges avec l'auditoire...
 
- Visite du module de librairie 3D avec sa modélisatrice, Jenny Bihouise... 20 minutes et échanges avec les visiteurs...

Attention inscription obligatoire : enregistrez-vous gratuitement sur http://ever.unistra.fr/
Tutoriel
http://ever.unistra.fr/tutoriel/co/Premiers-pas.html
Si vous venez pour la première fois sur ce type d'environnement web 3D immersive, prévoyez de vous inscrire et de télécharger le navigateur web 3D quelques jours avant.
Signalez-nous ici même en commentaires les éventuelles difficultés que vous rencontreriez. Nous vous répondrons pour vous aider.
Le jour J : Le samedi 10 janvier 2015 à 21H00 (heure française) 15H00 (heure canadienne) connectez-vous sur la plateforme EVER et rendez-vous sur la région ML3D ( Ma Librairie en 3D).

vendredi 12 décembre 2014

Séminaire Ethiques et Mythes de la Création


J'ai le plaisir de participer cette année universitaire 2014-2015 au séminaire de recherche interdisciplinaire Ethiques et mythes de la création, sous la responsabilité de Sylvie DALLET, professeur des universités et présidente de l'Institut Charles Cros, dans le cadre du programme international de recherches « Éthiques de la Création ».
La séance inaugurale du 05 décembre 2014 a été l'occasion, après introduction de Sylvie Dallet (autour des "pierres de rêve", de forêts des mythes et forêts des âmes, des mythes comme "des lumières d'étoiles mortes", et en guise de viatique cette citation de Paul Valéry : "Nous entrons dans l'avenir à reculons."), d'écouter Hervé Fischer sur la condition fabulatoire de l'être humain, la notion de divergence (voir "La divergence du futur"), et l'origine biologique des mythes qui seraient issus des fabulations de l'infans (enfant qui n'a pas encore acquis le langage) face au monde qui vient à lui ; Luc Dellisse sur les formes individualistes de réponse aux mythes ; Christian Gatard sur les instruments de navigation qu'il propose (se référer à mon billet du 27 juin "Sur Mythologies du futur de Christian Gatard") ; et enfin Georges Lewi sur "le cercle du mythe", la logique de frontière et la fabrication de l'ennemi comme ressources pour le moi de saisir sa place dans le monde...
[Vidéos de cette séance inaugurale en suivant ce lien...]
Mon intervention à la séance du 07 janvier 2015, « Parentés animales de la pensée humaine - Le retour des forces spirituelles associées » aura pour titre :

Bibliographie naturelle vs anthropocentrisme : dépasser l'horizon humain pour se ressaisir de la force spirituelle du langage
Résumé
"Aussi loin que nous puissions remonter dans l'épopée de l'espèce humaine, les mutations des dispositifs et des pratiques de lecture s'écoulent dans le lit d'un même fleuve, aujourd'hui en crue.
En référence aux dits du moyen âge, compositions narratives imaginaires (par exemple, le Dit de l'unicorne et du serpent, Herman de Valenciennes, 13e siècle) je parlerai de « lit », pour désigner à la fois ce qui est lu et ce qui en fait le lit, la couche, le terreau fertile de l'activité fabulatrice de l'espèce.
Notre anthropocentrisme nous incite à penser l'homme comme (seul) animal-lecteur (Alberto Manguel), mais nous oserons une tentative pour lire cet animal-lecteur par ce qui l'engage (langage) dans les perspectives tracées par la mythanalyse et la prospective du livre et de la lecture, c'est-à-dire dans une démarche entre historicité (ce qui est historiquement attesté) et historisation (ce qui relève de la transformation de mythes en récits historiques ou scientifiques).
Je considère la lecture comme une activité essentielle du vivant pour décoder et documenter son environnement ; comme premier degré de lecture la reconnaissance immunitaire, et comme source des dispositifs de lecture, les artefacts symboliques du langage, aussi nous faut-il je pense lire le monde à d'autres niveaux. Du chant des pistes des aborigènes australiens, aux travaux sur les lignes de l'anthropologue Tim Ingold, des chamanes aux hackers, les voies sont multiples.
Le Pardès de la Kabbale (tradition ésotérique du judaïsme), ou la lectio divina (exégèse biblique par Origène), incitent à exercer la lecture comme une forme active de prière et d'écoute, écoute d'une puissance créatrice qui voudrait nous parler, par les Écritures dites sacrées, des/les forces spirituelles du Verbe.
Je propose alors d'envisager, de dévisager le langage, non plus comme ce qui singulariserait l'homme au sein de l'harmonie du vivant, mais au contraire comme ce qui le ravirait dans la symphonie de l'univers, et d'imaginer ce que la grammaire pourrait receler comme formes de vie. Celles, par exemple, qu'évoquait Italo Calvino dans une de ses villes invisibles (Théodora, étymologiquement "don de Dieu") : « Reléguée pendant un temps indéfini dans des repaires à l’écart, depuis l’époque où elle s’était vue détrônée par le système des espèces désormais éteintes, l’autre faune revenait au jour par les sous-sols de la bibliothèque où l’on conserve les incunables, elle descendait des chapiteaux, sautait des gargouilles, se perchait au chevet des dormeurs. Les sphinx, les griffons, les chimères, les dragons, les hircocerfs, les harpies, les hydres, les licornes, les basilics reprenaient possession de leur ville. ».
Une autre manière de formuler l'émergence de ce que j'appelle le bibliocène, par l'activation des codes qui programment autant nos mythes, nos récits de sciences et de fictions, qu'en grande partie notre perception de la réalité (Hypothèse Sapir-Whorf)."
Vous serez les bienvenus à cette séance du mercredi 07 janvier 2015, informations pratiques en suivant ce lien...
Interviendront également au cours de cette séance : Georges Chapouthier (biologiste, CNRS), Wei Liu (doctorante Arts CHCSC-UVSQ) et Emile Noël (Institut Charles Cros).

mercredi 10 décembre 2014

La lecture sur papier : un luxe demain ?

L'interview que j'ai accordée au magazine économique "EcoRéseau" sur le livre en 2050, pour leur numéro de novembre 2014 est gracieusement consultable (ainsi que l'ensemble du magazine) en suivant ce lien...
 
Ci-après l'intégralité de l'interview (dont seuls des extraits ont été retenus par la rédaction du magazine et le reste plus ou moins intégré dans  l'article) :

" Pourriez-vous résumer très brièvement les grandes évolutions du livre depuis son apparition ?
La dimension transhistorique est capitale pour bien saisir l’aventure du livre depuis ses origines et réaliser à quel point elle est imbriquée à l’épopée de l’espèce humaine. Partant de l’archéologie préhistorique et des travaux de linguistes sur l’origine du langage je considère ce que nous appelons « les artefacts symboliques du langage » comme les précurseurs des dispositifs de lecture. Il s’agit d'objets détournés de leur finalité ordinaire, par exemple placés dans une sépulture et témoignant donc d'un rituel funéraire. Cela indique l'exercice d'une pensée symbolique, consubstantielle au langage. Faire signifier ainsi le monde extérieur initie la pratique fabulatoire d'où émergera ensuite le livre sous toutes ses formes. D’abord les bulles à calculi de Sumer (-3300), que l'anthropologue Clarisse Herrenschmidt présente comme des projections de la cavité buccale qui renferme les mots avant qu'ils ne deviennent paroles. Aplaties, ces boules d'argile deviendront des tablettes qui tiendront dans une main d'homme ouverte. Ensuite les rouleaux de papyrus, les premiers livres manuscrits sur parchemin, les premiers imprimés sur papier, dits incunables (1450-1501), puis la mécanisation de l'imprimerie, son industrialisation, son informatisation. Depuis le début des années 2000 nous assistons à une multiplication des dispositifs de lecture (ordinateurs, liseuses, tablettes…). L’innovation vient surtout de nouvelles formes narratives qui se cherchent encore autour du transmédia et du développement massif de l’autoédition et des fanfictions…
 
Comment imaginez-vous le livre en 2050, dans les scenarii les plus fous ?
Avec l’évolution des objets connectés et de la réalité augmentée nous allons passer à un autre niveau de lecture. A un autre plan d’évolution technologique nous allons revivre la lecture immersive de la bibliographie naturelle par nos ancêtres hominidés les plus lointains. En vérité nous sommes dans un livre, et c’est ce livre total, ce livre absolu qui émerge depuis juillet 1971, le premier texte e-incunable numérisé par Michael Hart, l’inventeur du Projet Gutenberg. C’est ce livre qu’est notre univers qui se révèle lentement avec la grande convergence NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives) et qui va se cristalliser durant les prochaines décennies. Pour jouer le jeu du scénario le plus fou, je dirais au vu de recherches actuelles que nous pouvons imaginer une sorte de Livre-Mentor. Une espèce d’avatar sémantique de chacun, qui serait comme un guide de vie, un manuel de formation et une bibliothèque universelle. Il serait contenu dans une séquence d’ADN de synthèse et nous pourrions via une puce RFID sous-cutanée le consulter en permanence sur de nombreux supports, soit embarqués, soit ambiants dans notre environnement extérieur.
 
Quel sera le support privilégié ?
Nous verrons probablement une interface hybride conjuguant les avantages du papier et des écrans, au niveau de la souplesse et des capacités d’affichage. Peut-être à base de graphène, un cristal monoplan de carbone. Comme un rouleau, ou une feuille pliable et extensible aux dimensions que les conditions de lecture nécessiteraient… Mais je crois surtout que nous ne penserons plus alors en termes de supports. Ce qui caractérise aujourd’hui la métamorphose du livre, c’est précisément le découplage entre les contenus et leurs supports d’affichage. Demain, tout ce qui pourra être support d’affichage pourra potentiellement faire livre (table, vitre, miroir, pare-brise, murs et plafonds…). Plus de supports uniques.
 
Croyez-vous que le papier a un avenir ? Dans quel domaine ?
Le papier, matériau naturel et recyclable a certainement un avenir. Peut-être hors du champ de l’impression et de l’édition. Je pense aux emballages, ou aux produits parapharmaceutiques. Les recherches, notamment à l’INP-Pagora de Grenoble sur les encres conductrices d’électricité et l’électronique imprimée, montrent bien que le papier peut évoluer technologiquement en parallèle des écrans.
 
En allant loin dans la prospective, croyez-vous qu’en 2050 le support particulier des livres n’existera plus, puisque le texte et les images pourront être projetés sur tous les supports (murs, tables,…) ?
Ce qui n’existera plus ce sera l’interface du codex, des cahiers de pages imprimées, pliées, reliées entre elles et protégées par une couverture. Mais rouleaux et codex ont coexisté plusieurs siècles. Avec l’impression numérique à la demande chacun pourra choisir. Chaque lecteur doit avoir la liberté de pouvoir lire sur le support de son choix. Nous pouvons aussi imaginer qu’il y aura en 2050 quelque chose de reposant, de relaxant, d’exprimé par les objets dédiés à une activité unique. Par exemple : « ne faire que lire ». Ce « ne faire que » sera peut-être alors un véritable luxe. Je crois que le livre imprimé durera tant qu’il répondra au principe de plaisir de la lecture. Nous devons aussi prendre en considération les postures, les logiques d’usages développées par les lecteurs, les capacités de nos cerveaux à s’adapter à de nouvelles formes de lecture…
 
Quels pays sont susceptibles d’être à la pointe du changement ?
Je pense que nous devrions être plus attentifs à l’évolution en Chine. N’oublions pas qu’ils avaient mis au point le papier et l’imprimerie avant nous. Les écritures asiatiques se prêtent aussi plus aisément à une lecture sur petits écrans. Pour les continents africain et sud-américain le circuit de l’édition numérique peut permettre un développement que les contraintes matérielles de l’édition imprimée rendaient difficile.
 
Est-on plutôt conservateur en France, ou bien au contraire ?
Comme sur toute la surface de la Terre je pense, nous sommes multiples. Certains sont plutôt conservateurs et d’autres plus novateurs. Mais le livre imprimé reste un symbole et un fort marqueur culturel.
 
Enfin dernière question quant à vos travaux : dans les différentes conférences et discussions que vous avez, sentez-vous que les gens ont envie de changement dans ce domaine, qu’ils cherchent à lire autrement ?
Ce que j’observe tous les jours à Paris dans les transports en commun et dans les lieux publics c’est que de plus en plus lisent sur des liseuses, des tablettes, voire des Smartphones… Les jeunes adultes me semblent plus attachés aux livres imprimés, pour ce qu’ils représentent symboliquement, tandis que les personnes plus âgées sont parfois séduites par l’innovation, les avantages pratiques de pouvoir grossir les caractères et emporter avec soi des centaines de livres. Mais les tout jeunes enfants qui ont aujourd’hui leurs premiers contacts avec la chose écrite sur les Smartphones ou les tablettes tactiles de leurs parents, ceux-là ne se tourneront sans doute pas spontanément vers ce que nous appelons aujourd’hui livre quand ils seront adultes. Et ceux qui auront 18 ans en 2050 ne sont pas encore nés ! "

samedi 22 novembre 2014

Explorer un futur possible de la médiation numérique du livre...

Je vous propose de découvrir un modèle de conférence unique pour explorer les potentialités du web 3D immersive au service de la médiation numérique du livre et de la lecture. Lisez ce bref document et contactez-moi pour que nous en parlions :-)
 

vendredi 14 novembre 2014

La médiation littéraire dans les nouveaux territoires

Le succès de la récente présentation les 08 et 09 novembre, dans le cadre de l'OpenSimulator Community Conference 2014 à nos amis américains d'une modélisation web 3D d'une Roue à Livres de 1501 (ancêtre de l'hypertexte) réalisée par Jenny Bihouise, conseil en applications numériques 3D innovantes avec laquelle je travaille, m'incite à faire le point sur mon investissement depuis plusieurs années au coeur de ces nouveaux territoires numériques.
Plusieurs facteurs (développement de casques de réalité virtuelle, de lunettes connectées, d'interfaces de projections 3D ou d'hologrammes sans lunettes, des projets en cours de nouveaux mondes immersifs sur le web...) convergent en effet vers l'émergence de nouvelles aires d'échanges.

Des prototypes pour réveiller les décideurs

Je fais de la veille sur le web 3D immersive depuis 2006 et, depuis la publication en 2011 de mon essai préfacé par François Bon, De la Bibliothèque à la Bibliosphère, c'est sur ce type d'espaces précisément que je développe le concept de bibliosphère.
Récemment et dans cette perspective nous avons spontanément développé des prototypes comme, par exemple, cette possible migration du Labo BnF dans un espace web 3D reproduisant à l'identique l'environnement et ses possibilités.
Photos Droits Réservés Cf. note en fin de post.
Le Projet BiblioSphère, qui fédère l'ensemble de ces expérimentations, est membre du Collectif l'i3Dim, l'incubateur 3D immersive, et une de ses déclinaisons, la MBN – Méta-Bibliothèque Numérique, est hébergée depuis quelques mois sur la plateforme 3D EVER (Environnement Virtuel pour l'Enseignement et la Recherche) de l'Unera (Université numérique en région Alsace) de l'Université de Strasbourg, sur laquelle nous présentons également le projet ML3D – Ma Librairie en 3D, recherche sur ce que seront peut-être les librairies du futur.
Le concept ʺbibliosphèreʺ a par ailleurs été l'objet d'une validation design thinking au cours du Mooc Pensée design organisé par France Business School en juin 2014.
L'illustration ci-dessous montre un autre de nos récents prototypes.
 
insertion d'un module web 3D immersive au sein de la vidéo 3D subjective de la BPI


Historique

Ces expériences s'inscrivent toutes en fait dans le prolongement d’un projet initial de dispositif expérimental de lecture sociale connectée, qui fut présenté en mars 2011 dans le cadre d’un concours organisé par le Laboratoire des Nouvelles Lectures pour le Salon International du Livre et de la Presse de Genève.

Baptisé alors MétaLectures, ce projet a pu développer durant la période de janvier 2012 à juin 2013 une implantation expérimentale sur le web 3D immersive, non commerciale et déjà basée sur le logiciel libre opensimulator avec lequel nous continuons de travailler.

Se présentant comme un incubateur, MétaLectures était défini à l'époque comme étant : « un environnement web 3D immersive pour présenter, expérimenter et développer des solutions innovantes dans l'univers du livre et de la lecture francophones, et y explorer de nouvelles formes de médiation autour du livre ».

dimanche 9 novembre 2014

Suivi de l'édition numérique francophone

Début novembre 2014 la liste d'éditeurs numériques francophones que j'avais lancée en avril 2011 (une trentaine de recensions alors) et régulièrement actualisée depuis (jusqu'à 172 recensions en août 2014) a été totalement vérifiée et mise à jour (soit 158 recensions).
A ce jour, la liste recense maintenant 119 éditeurs "pure-players" francophones, et 39 prestataires de services (eux aussi francophones) dédiés à l'édition numérique.
En bas de page une nouvelle liste comptabilise les maisons initialement enregistrées puis ayant depuis cessé leurs activités (20 de repérées).
N'hésitez pas à consulter cette liste unique et en commentaires à signaler les éventuelles erreurs.
 
Je rappelle que cette liste est purement informative. Issue de mon travail de veille, elle ne vise qu'à mettre gracieusement à la connaissance de chacun une liste d'éditeurs "pure-players", mais en aucun cas il ne s'agit, ni d'une recommandation des entreprises listées, ni d'une liste destinée spécifiquement aux auteurs en recherche d'un éditeur.
C'est un travail bénévole de recensement, qui peut servir aux enseignants et aux étudiants, ou à des organismes professionnels pour leurs études (tel par exemple : Pratiques d'éditeurs : 50 nuances de numérique, réalisée par le MOTif et le Labo de l'édition en mars 2014).